Fabio Morábito

Fabio Morábito.

Le Seuil (Collection La Librairie du XXI ème siècle) a publié en novembre 2021 Á chacun son ciel, une anthologie bilingue de l’oeuvre du poète mexicain Fabio Morábito. La traduction de Fabienne Bradu a été supervisée par l’auteur lui-même. Olivier Barbarant a publié dans la revue Europe de mars 2022 une intéressante critique de ce recueil (Les quatre vents de la poésie. Tremplins pour la pensée. Fabio Morábito. Pages 299-304)

Fabio Morábito est né le 21 février 1955 à Alexandrie (Égypte) de parents italiens. Il a vécu à Milan jusqu’à l’âge de quatorze ans. Sa famille a émigré en 1969 à México. Adulte, il a commencé à écrire dans une langue différente de sa langue maternelle. Dans son introduction, Jacques Rueff affirme : « Si c’est en traduisant la poésie italienne que Fabio Morábito est devenu écrivain, c’est en traduisant Montale qu’il est devenu poète. » Il vit à México où il est chercheur à l’Université autonome.

Il a publié cinq recueils de poésie :
1985 Lotes Baldios. México, Fondo de Cultura Económica.
(Terrains vagues. Québec, Écrits des Forges, 2001. Traduction Fabienne Bradu.)
1991 De lunes todo el año. México, Joaquín Mortiz.
2002 Alguien de lava. México, Era.
2011 Delante de un prado una vaca. México, Era. Madrid, Visor Libros, 2014.
2019 A cada cual su cielo.

Trois livres en prose ont aussi été traduits en français :
Les mots croisés ( 15 nouvelles). Éditions José Corti. 2009. Traduction Marianne Million.
Emilio, los chistes y la muerte, Editorial Anagrama 2009. (Emilio, les blagues et la mort. Éditions José Corti. 2010). Traduction Marianne Million.
El lector a domicilio. Editorial Sexto Piso. 2018. Le lecteur à domicile. Éditions José Corti. Ibériques. 2019. Traduction Marianne Million.

J’ai choisi trois poèmes de cet auteur :

¿Y si ya no diera de sí la fruta?

¿Y si ya no diera de sí la fruta?
¿Si dejara de colgar de los árboles
y de madurar en el suelo?
¿Si ya no hubiera cítricos,
ni siquiera nueces?
¿Qué sería de nuestros brazos,
de nuestros célebres pulgares,
nacidos para arrancarla?
Todas las distancias
nacieron de la fruta,
que debimos recoger
en la rama de al lado,
en el árbol de junto,
en el bosque contiguo,
en la tribu al otro lado del río.
Nos impulsó la fruta,
nos dispersó desde el principio.
Detrás de cada lujo,
de cada anhelo,
de cada viaje, su dulzura.
La carne misma la comemos
como fruta y no como carne,
la arrancamos de un rebaño de carne
como se arranca la fruta más madura,
todo lo suculento cae a nuestra boca
como descolgado de una rama,
como tú, que arranco cada día
de tu árbol, de tu tribu
y te traigo a este lado del río
y te como y te muerdo y te guardo
y tengo miedo que te pudras.

A cada cual su cielo, 2019.

Et s’il n’ y avait plus de fruits ?

Et s’il n’ y avait plus de fruits ?
S’ils cessaient de pendre aux arbres
et de mûrir au sol ?
S’il n’y avait plus de citrons,
ni même de noix ?
Qu’adviendrait-il de nos bras,
de nos fameux pouces,
nés pour les arracher ?
Toutes les distances
sont nés des fruits,
que l’on dut cueillir
sur la branche d’à côté,
sur l’arbre voisin,
dans la tribu sur l’autre rive du fleuve.
Les fruits nous ont impulsés
nous ont dispersés, depuis le commencement.
Sous chaque luxe,
chaque désir,
chaque voyage,leur douceur.
La chair même nous la mangeons
comme un fruit et non pas comme une chair,
nous l’arrachons d’un troupeau de chair
comme on arrache le fruit la plus mûr,
tout ce qui nous enchante
finit dans la bouche
comme si nous le détachions d’une branche,
comme toi, que j’arrache chaque jour
à ton arbre, à ta tribu
et que j’amène sur cette rive du fleuve
et je te mange et je te mords et je te garde
et j’ai peur que tu pourrisses.

Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.

El maestro pasa lista

El maestro pasa lista
sin mirarnos.
Después de cada nombre
se escucha “presente”.
Cada tanto un silencio: alguien no vino.
El maestro levanta la vista para cerciorarse.
Hubo una vez uno que guardó silencio
al oír su nombre,
el maestro levantó la vista, no lo vio
y puso la cruz de la falta.
El otro permaneció impasible
y lo miramos con envidia.
Tenía una cruz y estaba
entre nosotros.
No se quitó la cruz en toda la mañana.
Sin percatarse del engaño,
el maestro le pidió que leyera en voz alta
y en el salón estalló la risa.
¿Por qué se ríen?,
y todos bajamos la vista,
incluido el ausente,
que leyó con voz de ausente,
o así me pareció.
Al otro día no vino,
tampoco al otro día
y pocos días después, pasando lista,
el maestro se saltó su nombre,
después lo tachó con la pluma
y yo olvidé su nombre, su rostro y su cruz.

Delante del prado una vaca, 2011.

Le maître fait l’appel

Le maître fait l’appel
sans nous regarder.
Après chaque nom on entend « présent ».
Parfois un silence : quelqu’un n’est pas venu.
Le maître lève les yeux pour vérifier.
Une fois il y en eut un qui ne répondit pas
en écoutant son nom,
le maître leva les yeux, ne le vit pas
et marqua la croix de l’absence.
L’autre demeura impassible
et nous le regardions avec envie.
Il n’a pas renié sa croix de toute la matinée.
Sans remarquer la ruse
le maître lui demanda de lire à voix haute
et toute la classe éclata de rire.
Pourquoi riez-vous ?,
nous baissâmes la tête,
y compris l’absent,
qui lut d’une voix d’absent,
ou ainsi me sembla-t-il.
Le lendemain il ne vint pas,
pas plus que le surlendemain,
et quelques jours plus tard, en faisant l’appel,
le maître sauta son nom,
puis le raya d’un trait de plume
et j’ai oublié son nom, son visage et sa croix.

Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.

Los columpios

Los columpios no son noticia,
son simples como un hueso
o como un horizonte,
funcionan con un cuerpo
y su manutención estriba
en una mano de pintura
cada tanto,
cada generación los pinta
de un color distinto
(para realzar su infancia)
pero los deja como son,
no se investigan nuevas formas
de columpios,
no hay competencias de columpios,
no se dan clases de columpio,
nadie se roba los columpios,
la radio no transmite rechinidos
de columpios,
cada generación los pinta
de un color distinto
para acordarse de ellos,
ellos que inician a los niños
en los paréntesis,
en la melancolía,
en la inutilidad de los esfuerzos
para ser distintos,
donde los niños queman
sus reservas de imposible,
sus últimas metamorfosis,
hasta que un día, sin una gota
de humedad, se bajan
del columpio
hacia sí mismos,
hacia su nombre propio
y verdadero, hacia
su muerte todavía lejana.

De lunes todo el año, 1991.

Les balançoires

Les balançoires ne sont pas une nouveauté,
elles sont simples comme un os
ou un horizon.
Un corps les fait marcher
et leur entretien consiste
en une couche de peinture
de temps en temps,
chaque génération les peinture
d’une couleur différente
(pour donner du lustre à son enfance)
mais les laisse tels qu’elles sont,
on ne cherche pas de nouvelles formes
de balançoires,
il n’y a pas de compétition de balançoires,
pas de leçons de balançoires,
personne ne vole les balançoires,
la radio ne transmet pas des grincements
de balançoires,
chaque génération les peint
d’une couleur différente
pour se souvenir d’elles,
qui initient les enfants
aux parenthèses,
à la mélancolie,
à l’inutilité des efforts
pour être différents,
où les enfants brûlent
leurs réserves d’impossible,
leurs dernières métamorphoses,
jusqu’au jour où, sans un reste
d’humidité, ils descendent
de la balançoire
vers eux-mêmes,
vers leur nom propre
et véritable, vers
leur mort encore lointaine.

Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.

“La poesía no es sinónimo de lentitud, como muchos creen. Es el atajo lingüístico por excelencia. Por eso los poemas suelen ser breves, un acelerador de partículas que permite saltar sobre muchas cosas e ir directos al grano. El poeta es un velocista. »

« La poésie n’est pas synonyme de lenteur. C’est un raccourci linguistique par excellence. Les poèmes sont généralement courts ; ils constituent un accélérateur de particules qui permet de sauter beaucoup de choses et d’aller droit à l’essentiel. Le poète est un champion de la vitesse. »

« La poesía tiene el prestigio que tiene toda actividad secreta, inútil e incomprensible. Si no fuera tan incomprensible para la mayoría, no tendría prestigio y los poetas no viajaríamos como viajamos. »

« La poésie a le prestige de toute activité secrète, inutile et incompréhensible. Si elle n’était pas aussi incompréhensible, elle n’aurait pas ce prestige. Et nous, poètes, ne voyagerions pas comme nous le faisons. »

« Il y a une veine spéculative dans ma poésie, qui en accompagne une autre, plus vécue, souvent autobiographique. J’aspire à une poésie qui, sans perdre ses racines dans le quotidien, ne se limite pas à l’anecdote. À partir d’une expérience particulière, la poésie parvient à illuminer une zone profonde de l’esprit. »

« No me interesa ser poeta en absoluto. Lo que me interesa es escribir un libro de poemas. Se es poeta sólo cuando se escribe poesía, después deja de serlo. Ser poeta no se convierte jamás en profesión. »

« Être poète ne m’intéresse pas le moins du monde. Ce qui m’importe, c’est écrire un livre de poèmes. On n’est poète que lorsqu’on écrit de la poésie. Ensuite on cesse de l’être. Être poète n’est jamais une profession. »

2 réponses sur “Fabio Morábito”

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