Pablo Neruda

Buste de Pablo Neruda. Côte d’Isla Negra (Chili)

Paix. Guerre. Années 50.

J’ai lu dans Charlie Hebdo du 4 octobre 2023 l’article de Philippe Lançon (Le torrent Neruda) sur le Quarto Gallimard Résider sur la terre. Oeuvres choisies que je conseille à nouveau. Les traductions ont été revues, mais Claude Couffon était un très bon traducteur. Merci à lui pour son travail sur Federico García Lorca et Miguel Hernández particulièrement.

VI

Paz para los crepúsculos que vienen,
paz para el puente, paz para el vino,
paz para las letras que me buscan
y que en mi sangre suben enredando
el viejo canto con tierra y amores,
paz para la ciudad en la mañana
cuando despierta el pan, paz para el río
Mississippi, río de las raíces:
paz para la camisa de mi hermano,
paz en el libro como un sello de aire,
paz para el gran koljós de Kíev,
paz para las cenizas de estos muertos
y de estos otros muertos, paz para el hierro
negro de Brooklyn, paz para el cartero
de casa en casa como el dia,
paz para el coreógrafo que grita
con un embudo a las enredaderas,
paz para mi mano derecha,
que sólo quiere escribir Rosario:
paz para el boliviano secreto
como una piedra de estaño, paz
para que tú te cases, paz para todos
los aserraderos de Bío Bío,
paz para el corazón desgarrado
de España guerrillera:
paz para el pequeño Museo de Wyoming
en donde lo más dulce
es una almohada con un corazón bordado,
paz para el panadero y sus amores
y paz para la harina: paz
para todo el trigo que debe nacer,
para todo el amor que buscará follaje,
paz para todos los que viven: paz
para todas las tierras y las aguas.

Yo aquí me despido, vuelvo
a mi casa, en mis sueños,
vuelvo a la Patagonia en donde
el viento golpea los establos
y salpica hielo el Océano.
Soy nada más que un poeta: os amo a todos,
ando errante por el mundo que amo:
en mi patria encarcelan mineros
y los soldados mandan a los jueces.
Pero yo amo hasta las raíces
de mi pequeño país frío.
Si tuviera que morir mil veces
allí quiero morir:
si tuviera que nacer mil veces
allí quiero nacer,
cerca de la araucaria salvaje,
del vendaval del viento sur,
de las campanas recién compradas.
Que nadie piense en mí.
Pensemos en toda la tierra,
golpeando con amor en la mesa.
No quiero que vuelva la sangre
a empapar el pan, los frijoles,
la música: quiero que venga
conmigo el minero, la niña,
el abogado, el marinero,
el fabricante de muñecas,
que entremos al cine y salgamos
a beber el vino más rojo.

Yo no vengo a resolver nada.

Yo vine aquí para cantar

y para que cantes conmigo.

IX Qué despierte el leñador. Canto general. 1950.

VI

Paix pour les crépuscules qui s’avancent,
paix pour le pont, paix pour le vin,
paix pour les lettres qui me cherchent
et montent dans mon sang, y emmêlant
le vieux chant et la terre, les amours,
paix pour la ville au petit jour
quand s’éveille le pain, paix pour le fleuve
des racines, pour le Mississippi :
paix pour la chemise de mon prochain,
paix dans le livre comme un sceau de vent,
paix pour Kiev et son grand kolkhoze,
paix pour les cendres de ces morts
et de ces autres morts, paix pour le fer
noir de Brooklyn, paix pour le facteur qui se rend
de maison en maison comme le jour,
paix pour le chorégraphe qui crie ses paroles
dans un entonnoir, aux volubilis,
paix pour ma main droite
qui ne veut écrire que Rosario :
paix pour le Bolivien secret
comme une pierre d’étain, paix
pour que tu te maries, paix
pour toutes les scieries du Bío Bío,
paix pour le coeur écartelé
de l’Espagne guérillera :
paix pour le petit musée du Wyoming
où le plus doux
est un coussin avec un coeur brodé,
paix pour le boulanger et ses amours
et paix pour la farine : paix
pour tout le blé à naître,
pour tout l’amour qui cherchera la frondaison,
paix pour tous ceux qui vivent : paix
pour toutes les terres et les eaux.

Je prends congé, je rentre
chez moi, dedans mes rêves,
je retourne à cette Patagonie
où le vent frappe les étables
et où l’Océan disperse la glace.
Je ne suis qu’un poète et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j’aime :
dans ma patrie on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines
de mon petit pays si froid.
Si je devais mourir cent fois,
c’est là que je veux mourir,
si je devais naître cent fois,
c’est là aussi que je veux naître,
près de l’araucaria sauvage,
des bourrasques du vent du sud,
des cloches depuis peu acquises.
Que personne ne pense à moi. Pensons
à toute la terre, frappons
amoureusement sur la table.
Je ne veux pas revoir le sang
imbiber le pain, les haricots noirs,
la musique : je veux que viennent
avec moi le mineur, la fillette,
l’avocat, le marin
et le fabricant de poupées,
que nous allions au cinéma, que nous sortions
boire le plus rouge des vins.

Je ne veux rien résoudre.

Je suis venu ici chanter, je suis venu

afin que tu chantes avec moi.

IX Que s’éveille le bûcheron. Chant général. 1950. Traduction Claude Couffon révisée par Stéphanie Decante.

Collection NRF Poésie/Gallimard n° 182. 1984. Traduction Claude Couffon. Première parution 1977.

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