Buste de Quevedo. León, Parque de Quevedo. Il se trouve près du Convento de San Marcos, aujourd’hui Parador Nacional, où il fut emprisonné.
Soneto enviado desde su Torre de Juan Abad a don José de Salas (Musa, II, 109)
Desde La Torre
Retirado en la paz de estos desiertos, con pocos, pero doctos libros juntos, vivo en conversación con los difuntos y escucho con mis ojos a los muertos.
Si no siempre entendidos, siempre abiertos, o enmiendan, o secundan mis asuntos, y en músicos, callados contrapuntos al sueño de la vida hablan despiertos.
Las grandes almas que la muerte ausenta, de injurias de los años vengadora, libra, ¡ oh gran don Iosef, docta la emprenta.
En fuga irrevocable huye la hora; pero aquélla el mejor cálculo cuenta que en la lección y estudios nos mejora.
Retiré dans la paix des déserts, Je vis avec de doctes et rares livres dans les mains. Je vis en conversation avec des morts. J’écoute les morts avec les yeux.
De La Torre
Dans ces déserts et leur paix retiré, de rares et doctes livres entre les mains, je vis dans le commerce des défunts, et de mes yeux, j’entends les morts parler.
Sinon compris, sans cesse fréquentés, ils amendent ou fécondent mes desseins ; et par muets contrepoints musiciens au songe de la vie parlent éveillés.
L’imprimerie, oh ! Grand Joseph, nous rend les grands esprits effacés par la mort ; elle venge les injures des ans.
L’heure s’enfuit en fuite sans remords mais il faut la marquer d’un caillou blanc celle qui par l’étude rend plus fort.
Les Furies et les Peines 102 sonnets. NRF Poésie/Gallimard n°463. 2010. Traduction Jacques Ancet.
La Torre de Juan Abad, petit village au sud de la Manche, au nord de la Sierra Morena, où Quevedo avait une maison dans laquelle il venait fuir l’agitation de la Cour. C’est de là qu’il envoie ce sonnet à Josef Antonio González de Salas qui fait le commentaire suivant : « Quelques années avant son dernier emprisonnement (décembre 1639), il m’envoya cet excellent sonnet, depuis La Torre » (1637). Quevedo fut emprisonné quatre ans au couvent de San Marcos de Valladolid dans une cellule humide qui ruina sa santé. il était accusé d’écrire des libelles hostiles au gouvernement du comte-duc d’Olivarès, valido et ministre de Felipe IV, après l’avoir longuement soutenu. L’écrivain était aussi intervenu dans la polémique relative au choix d’un saint patron pour l’Espagne. Ses faveurs s’étaient portées vers Saint Jacques de Compostelle au détriment de sainte Thérèse d’Avila. Il sortit de prison diminué en 1644 et mourut en 1645.
Convento de San Marcos (Juan de Orozco iglesia, Martín de Villarreal fachada – Juan de Badajoz el Mozo claustro y sacristía) 1515-1716 (Photo :CFA). Aujourd’hui luxueux Parador National *****. “Entre juillet 1936 y 1940 camp de concentration pour 6700 prisonniers républicains : 791 fusillés, 1563 tués sommairement, 598 sans précision (exécutés, tués sommairement ou morts dans les camps).
De La Torre
Retiré dans la paix de ces doctes retraites, Avec un rare choix de bons livres anciens, Les morts ont avec moi d’infinis entretiens, Et j’écoute des yeux leurs paroles muettes.
Mal compris quelquefois, mais jamais oubliés, Ils donnent à mes soins le blâme ou l’espérance, Et dans des contrepoints d’harmonieux silence Au songe de la vie ils parlent éveillés.
La docte Imprimerie, ô grand Joseph, délivre Les grandes âmes que la mort tient dans la nuit, Et du temps outrageux les venge par le Livre.
Et si l’heure de l’homme, invincible, s’enfuit, Celle qu’un bon calcul persuade et conduit Par l’étude et par la leçon nous fait mieux vivre.
Dans Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025), la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez, un des personnages évoqués est Jorge Gaitán Durán.
Cet écrivain était un célèbre poète et journaliste colombien. Il faisait partie du groupe des Cuadernícolas avec Fernando Charry Lara, Álvaro Mutis, Rogelio Echavarría, Guillermo Payán Archer, Jaime Ibáñez, Maruja Vieira et Fernando Arbeláez.
Il fonda la revue Mito avec l’essayiste Hernando Valencia Goelkel (1928-2004). Entre mai 1955 et juin 1962, ils publièrent 42 numéros. Cette revue eut une grand influence sur la littérature colombienne. Elle publia, entre autres, des auteurs comme Alfonso Reyes, Gabriel García Márquez (Pas de lettre pour le colonel en 1958), Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Eduardo Cote Lamus, Carlos Fuentes, Alejandra Pizarnik.
Jorge Gaitán Durán participa au mouvement de la jeunesse colombienne favorable à la candidature du libéral Jorge Eliécer à la présidence de la République. Ce dernier fut assassiné le 9 avril 1948 à Bogotá.
Il voyagea en Europe en 1950 (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-bas, Union Soviétique) et en l’Asie (Chine). Pendant ces voyages, il rencontra Nazim Hikmet, José Manuel Caballero Bonald, Vicente Aleixandre, Mao Tse Toung. Il épousa Dina Moscovici qu’il connut en Italie. Leur fille, Paula, naquit à Paris en novembre 1952. Le couple divorça en 1958. Jorge Gaitán Durán vécut ensuite avec la sculptrice Feliza Bursztyn (1933-1982)
Ses écrits sur Sade en 1955 firent scandale dans son pays : Sade contemporáneo (Diálogo entre un sacerdote y un moribundo) et Monsieur Le Six – Marqués de Sade (préface de Gilbert Lely).
Il publia les œuvres poétiques suivantes :
1946 Insistencia en la tristeza. 1947 Presencia del hombre. 1951 Asombro. 1959 Amantes. 1962 Si mañana despierto (Anthologie)
Le 21 juin 1962, il mourut à 38 ans dans un accident d’avion. Le vol Air France 117 qui reliait Paris à Santiago via Lisbonne, Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota et Lima s’écrasa lors de l’atterrissage en Guadeloupe sur le morne du Dos d’Âne à Deshaies. Bilan : 113 morts.
La revue Érudit (Volume 45, numéro 3 (261), septembre 2003, La poesía tiene la palabra) a publié deux poèmes traduits en français de cet auteur.
Se juntan desnudos (Jorge Gaitán Durán)
Dos cuerpos que se juntan desnudos Solos en la ciudad donde habitan los astros Inventan sin reposo al deseo. No se ven cuando se aman, bellos O atroces arden como dos mundos Que una vez cada mil años se cruzan en el cielo. Solo en la palabra, luna inútil, miramos Cómo nuestros cuerpos son cuando se abrazan, Se penetran, escupen, sangran, rocas que se destrozan, Estrellas enemigas, imperios que se afrentan. Se acarician efímeros entre mil soles Que se despedazan, se besan hasta el fondo, Saltan como dos delfines blancos en el día, Pasan como un solo incendio por la noche.
Amantes, 1959.
Unis dans la nudité
Deux corps nus qui s’entrelacent Seuls dans la ville habitée par les astres Sans repos ils inventent le désir. Sans se voir quand ils s’aiment, dans leur beauté Ou dans l’horreur, ils brûlent comme deux mondes Qui traversent le ciel une fois tous les mille ans. Seulement dans le mot, lune inutile, nous voyons Comment sont nos corps lorsqu’ils s’étreignent, Se pénètrent, crachent, saignent, des roches qui se fracassent. Étoiles ennemies, empires qui s’affrontent. Ils se caressent éphémères entre mille soleils Qui se déchirent, s’embrassent jusqu’aux abîmes. Sautent comme des dauphins blancs en plein jour. Ils passent comme un incendie seul au milieu de la nuit.
Amantes (Jorge Gaitan Duran)
Somos como son los que se aman. Al desnudarnos descubrimos dos monstruosos Desconocidos que se estrechan a tientas, Cicatrices con que el rencoroso deseo Señala a los que sin descanso se aman : El tedio, la sospecha que invencible nos ata En su red, como en la falta dos dioses adúlteros. Enamorados como dos locos, Dos astros sanguinarios, dos dinastías Que hambrientas se disputan un reino, Queremos ser justicia, nos acechamos féroces, Nos engañamos, nos inferimos las viles injurias Con que el cielo afrenta a los que se aman. Solo para que mil veces nos incendie El abrazo que en el mundo son los que se aman Mil veces morimos cada dia.
Amantes, 1959.
Amants
Nous sommes comme ceux qui s’aiment. Nous dénudant nous découvrons deux inconnus Monstrueux qui s’étreignent à tâtons. Cicatrices par lesquelles le désir rancunier Révèle ceux qui s’aiment sans repos : L’ennui, le soupçon qui invincible nous attrape Dans son filet, comme dans la faute deux dieux adultères. Amoureux comme deux fous, Deux astres sanguinaires, deux dynasties Qui affamées se disputent un règne, Nous voulons être la justice, nous nous harcelons féroces, Nous nous dupons, nous lançant de viles injures Avec lesquelles le ciel punit ceux qui s’aiment. Seulement pour que mille fois nous enflamme L’étreinte qui dans le monde est à ceux qui s’aiment Mille fois nous mourons chaque jour.
Je viens de terminer la lecture de la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez (Bogotá 1973), Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025). Elle sera publiée en France en 2026.
Je dois recommander aussi la lecture des autres romans et essais de cet auteur colombien : El ruido de las cosas al caer. Alfaguara, 2011. (Le Bruit des choses qui tombent. Seuil 2012 Points n°P3084, 2013.) Las reputaciones. Alfaguara, 2013. (Les Réputations, Seuil 2014 Points n°P4179, 2015.) La forma de las ruinas, Alfaguara, 2015. (Le Corps des ruines. Seuil, 2017. Points, 2018.) Volver la vista atrás. Alfaguara, 2020. (Une rétrospective. Seuil, 2022.) La traducción del mundo. Alfaguara, 2023. (La Traduction du monde, les conférences Weidenfeld. 2022. Seuil, 2025.
«…Nos embarcamos en ese impulso que siempre es imperfecto : la reconstrucción del pasado, ese lugar incómodo que sólo existe mientras lo contamos. » (page19)
« El mundo nos hiere, nos persigue, nos envilece, recordó Feliza: eran las palabras que Jorge le había dicho en otro avión, no llegando a Guadalupe sino alejándose de la isla, cuando los dos creían, como ángeles equivocados, que su destino común era la felicidad. » (page 151)
Juan Gabriel Vásquez.
Plaidoyer pour la fiction, avec Juan Gabriel Vásquez. Le Bookclub. France Culture. Mercredi 19 mars 2025.
” Dans son dernier essai, Juan Gabriel Vásquez défend la capacité du genre romanesque à “traduire” la complexité des vies humaines et à éclairer les zones d’ombre de l’Histoire. En convoquant Zadie Smith, García Márquez, Yourcenar et d’autres, l’auteur colombien livre un plaidoyer pour la fiction. “
Feliza Bursztyn: Datos que posiblemente no sabes de la escultora bogotana
Nació en 1933 en Bogotá y fue criada en una familia de orígen judío. A sus padres nunca les pareció infortunado el hecho de que ella quisiera dedicarse a algo tan liberal como era considerado el arte a mediados del siglo pasado.
En Estados Unidos estudió pintura en el Art Students League de Nueva York, y escultura en la Academie de la Grande Chaumière de París. Allá conoció al artista ruso Ossip Zadkine, con el que aprendió a hacer esculturas en barro y bronce.
Al caer la dictadura de Rojas Pinilla, Feliza regresó a Bogotá para continuar su carrera. Y cuando se dio cuenta de que los talleres de fundición eran escasos y los costos para trabajar el bronce eran altos, le quedaron dos opciones: o se cambiaba de país o trabajaba con los materiales que tuviera a su alcance. Así fue como se le ocurrió usar la chatarra como materia prima para crear esculturas sarcásticas, hermosas, con un alto valor estético, pero también con claras connotaciones agresivas y rudas.
Feliza trabajaba incansablemente. Nunca se supo si se demoraba más recorriendo a pie todas las chatarrerías de la ciudad o construyendo sus obras con lo que allí encontraba. Soldaba sola, usaba abrigos de piel mientras utilizaba los sopletes, destruía algunas obras para armar otras nuevas y su frase de batalla era “mientras los hombres se van de putas, yo me voy de talleres”.
En su selecto grupo de amigos se encontraban Gabriel García Márquez, Álvaro Cepeda Samudio, Marta Traba y Fanny Mickey.
Con Marta Traba se le ocurrió proyectar cortometrajes en sus exposiciones; por su personalidad transgresora fue que usó motores de tocadiscos para crear Las histéricas, esculturas con movimiento que chillan y se sacuden; gracias a su filosofía que consistía en que el espectador también puede aportarle a una obra hizo las Minimáquinas, pequeñas esculturas silenciosas y estáticas con palancas y botones que cambiaban su estructura original.
La tacharon de guerrillera, la detuvieron en una caballeriza y la obligaron a emigrar nuevamente para escapar de una persecución política durante el gobierno de Julio César Turbay Ayala. Al poco tiempo, con 49 años a cuestas, murió de un ataque cardiaco fulminante en un restaurante ruso en París ante la mirada estupefacta de Enrique Santos Calderón, María Teresa Rubino, Pablo Leyva, Mercedes Barcha y Gabriel García Márquez.
“Bursztyn fue importante porque hizo su arte de manera libre y comenzó la apertura de caminos que muchos artistas no se atrevían a recorrer. Se arriesgó a explorar materiales distintos a los clásicos, tenía una mirada diferente dentro del medio y a pesar de que su vida estuvo llena de dramas, siempre lució sonriente. Tal vez por eso su obra no contiene ese humor que genera un chiste, sino más bien un humor con una gran tristeza por debajo”, explicaron Camilo Leyva, Manuela Ochoa y Juan Carlos Osorio en una exposición póstuma de su obra en el Museo Nacional.
Gabriel García Márquez escribió en una columna en El País el 20 de enero de 1982 Los 166 días de Feliza.
El País, 20/01/1982
Los 166 días de Feliza (Gabriel García Márquez)
La escultora colombiana Feliza Bursztyn, exiliada en Francia, se murió de tristeza a las 10.15 de la noche del pasado viernes 8 de enero, en un restaurante de París. El diario El Tiempo, de Bogotá, dio la noticia en primera página en su edición del domingo. Y explicó a sus lectores, en tres líneas, por qué la escultora no estaba en Colombia: “Feliza había viajado hacía dos meses a París en compañía de su esposo, y antes había estado varias semanas en México”. Nada más. Pero al día siguiente apareció una nota editorial firmada con unas iniciales que coinciden con las del director del periódico, Hernando Santos, y en la cual se hacían dos preguntas sobre Feliza Bursztyri: “¿Por qué tuvo que irse? ¿Por qué fue víctima de un exilio incomprensible al cual hubiera podido escapar con dos sencillas palabras?”. Pero la nota no dice cuáles fueron esas palabras mágicas que acaso hubieran prolongado la vida…De méritos tan grandes como sus carcajadas, la amiga más querida de sus amigos de todas partes, que no sólo hubiera dicho dos palabras simples, sino cuantas fueran necesarias para volver al único país donde siempre quiso vivir. Si alguien le hubiera hecho la caridad de decírselas a tiempo, tal vez hubiera podido cumplir su deseo y ejercer su derecho de morirse en su cama de Bogotá, rodeada de sus poetas locos, y no tirada por los suelos en un restaurante tapizado de espejos, ante la tenacidad estéril de seis médicos bomberos que trataban de despertarla y el espanto de su esposo y cuatro amigos que la sabíamos muerta para siempre desde el primer instante.
Nadie sabe mejor que mi familia y yo cómo fue la vida de Feliza Bursztyn, minuto a minuto, en los 166 días de su exilio mortal. En nuestra casa de México, donde vivió casi tres meses desde que salió de Bogotá bajo la protección diplomática de la embajada mexicana, hasta cuando pudo viajar a París, no sólo tuvimos tiempo de sobra para hablar de su drama, sino que sólo pudimos hablar de eso, porque Feliza quedó en una especia de estupor de disco rayado que no le permitía hablar de otra cosa. Infinidad de veces, guiada por mi curiosidad invencible de periodista y escritor, me contó hasta los detalles más ínfimos de su mal recuerdo; llenamos juntos las grietas vacías, tratamos de entender lo incomprensible, ansiosos de tocar fondo en un misterio que no parecía tenerlo. En París, a donde llegamos el pasado octubre con muy pocos días de diferencia, nos seguimos viendo con frecuencia. De modo, que considero como un derecho, e inclusive como un deber de sanidad social, que sea yo quien trate de dar respuesta Pública a las dos preguntas de H. S., aunque sólo sea para que sus Iectores no sucumban también en la peste del olvido.
Feliza Bursztyn tuvo que escapar de Colombia -como hubiera podido hacerlo el protagonista de El proceso, de Franz Kafka- para no ser encarcelada por un delito que nunca le fue revelado. El viernes 24 de julio de 1981 una patrulla de militares al mando de un teniente se presentó a su casa de Bogotá a las cuatro de la madrugada. Todos vestían de civil, con ruanas largas, debajo de las cuales llevaban escondidas las metralletas, y estaban autorizados por una orden de allanamiento de un juez militar. Su comportamiento fue correcto, amable inclusive, y la requisa que hicieron de la casa duró casi cuatro horas, pero fue más ritual que minuciosa. Feliza y su esposo, Pablo Leyva, tuvieron la impresión de que eran unos muchachos inexpertos que no sabían lo que buscaban ni tenían demasiado interés en encontrarlo. Lo único que registraron a fondo fue la cama matrimonial, hasta el extremo de que la desarmaron y la volvieron a armar. “Tal vez buscaban mis polvos perdidos”, comentó más tarde Feliza con su humor bárbaro. Otra cosa que les llamó la atención fue una caja de fotografías que Feliza había llevado de La Habana, pocos días antes, a donde había viajado para asistir a una exposición de sus obras en la Casa de las Américas. Eran las fotos de una exposición colectiva de fotógrafos colombianos que se había realizado en La Habana el año anterior, también bajo el patrocinio de la Embajada de Colombia en Cuba, y con asistencia de sus funcionarios. La Casa de las Américas le había pedido a Feliza el favor de que las devolviera a sus autores, cuyos nombres y direcciones estaban escritos al dorso de cada foto. Los soldados les echaron una ojeada superficial a casi un centenar y pusieron aparte tres, que se llevaron. Feliza, que ni siquiera había tenido tiempo de abrir el paquete, no pudo ver muy bien qué fotos eran, pero le pareció que alguna la había visto publicada en la Prensa de Colombia. También se llevaron una pistola Beretta inservible que un amigo le había regalado a Feliza en 1964, en una época en que vivía sola en Bogotá, pues todavía no se había casado con Pablo Leyva. “No me atreví ni a tocarla nunca”, me dijo Feliza, “por temor de sacarme un ojo”. Fue todo cuanto se llevaron. Es cierto que Feliza no encontró después dos cadenas y tres anillos que había puesto en su mesa de noche antes de dormirse, y que eran las únicas cosas de oro, pero también las que costaban menos en su paraíso de chatarra. Pero siempre insistió, con su buena fe inquebrantable, que no podía suponer algo que no había visto.
Terminada la requisa, Feliza fue llevada, sin su esposo, a las caballerizas de la Brigada de Institutos Militares. Permaneció sentada, sin comer ni beber, durante las once horas del interrogatorio. Le vendaron los ojos y le pegaron en el pecho una banda adhesiva con su número de presidiaria: 5. Ese parche, con ese número, está todavía pegado en la pared de la cocina en su casa de Bogotá . Siempre insistió en que la trataron con mucha corrección, que le pidieron excusas por tener que vendarla, y que ninguna de las incontables preguntas le permitió vislumbrar de qué la acusaban. Se lo preguntó a uno de sus interrogadores invisibles, y éste le dio una respuesta deslumbrante: -Lo vamos a saber ahora por lo que usted nos diga.
Es sorprendente que hubiera resistido aquella prueba con tanta fortaleza, porque Feliza tenía una limitación pulmonar muy seria, debido a las sustancias tóxicas con que trabajaba, y además una lesión de la columna vertebral de la que no se recuperó nunca. Pero no perdió el sentido del humor en ningún momento de aquellas once horas desgraciadas de nuestra historia patria.
Le preguntaron si conocía a algún escritor, y contestó que sí: a Hernando Valencia Goelkel. Le preguntaron si no conocía a otros, y contestó que sí, pero que no los mencionaba porque eran muy malos escritores. Le preguntaron si no temía que la violaran, y contestó que no, porque toda mujer casada está acostumbrada a que la violen todas las noches. Sin embargo, los, distintos interrogadores que nunca pudo ver coincidieron en poner en duda su nacionalidad colombiana. Nunca, en las horas interminables de su exilio, Feliza pareció olvidar que alguien en su propio país le hiciera esa ofensa. “Soy más colombiana que el presidente de la República”, solía decir en sus últimos días. Más aún: mucho antes de que tuviera que abandonar a Colombia, una revista les preguntó a varios artistas colombianos en qué ciudad del mundo querían vivir, y Feliza fue la única que contestó: “En Bogotá”.
Dos días después del interrogatorio, cuando ya se consideraba a salvo de toda sospecha, Feliza fue citada por un juez militar, que la acusó de tener en su casa un arma sin licencia. El juez le mostró la disposición según la cual aquel delito tenía prevista una pena de cinco años de cárcel. Le hizo firmar una notificación, la citó para dos días más tarde y le advirtió que no podía moverse de Bogotá. Dos días después, con todo el dolor de su alma, se asiló en la sede de la Embajada de México.
No es comprensible, pues, que alguien se pregunte ahora por qué se fue Feliza de Colombia.
El mismo Hernando Santos, que fue uno de sus amigos más queridos, tuvo la entereza de llamar por teléfono al ministro de la Defensa, general Camacho Leyva, para interceder en favor de ella, cuando todavía estaba detenida. El general le contestó que no podía hacer nada, porque había contra Feliza una denuncia concreta. Pocos días después, sin embargo, cuando todavía Feliza estaba asilada en la Embajada de México, la Cancillería colombiana dijo, en un comunicado oficial, que no había ningún cargo contra ella, que podía viajar sin salvoconducto a donde quisiera y volver a Colombia con toda libertad. Pero otros días más tarde, el redactor de asuntos militares de El Espectador, de Bogotá, publicó una declaración muy explícita de un alto oficial de las Fuerzas Armadas de Colombia, que nunca se identificó, pero que tampoco ha sido desmentido por nadie. Este militar sin nombre afirmaba tener pruebas de que Feliza Bursztyn era correo, entre los dirigentes cubanos y el M-19, pero que se le había tratado con la mayor consideración por ser mujer y artista. Otras gestiones que amigos de Feliza han hecho después ante autoridades militares han recibido la misma respuesta. Es alarmante, pero ya se sabe: en Colombia, los militares guardan secretos que las autoridades civiles no conocen.
Feliza no estaba en París por placer. Su propósito original era viajar a Estados Unidos, donde viven sus tres hijas, su hermana y su madre, todas ellas de nacionalidad norteamericana. Pero el consulado de Estados Unidos en México, después de consultarlo con el de Bogotá, le negó la visa. Amigos de Feliza le consiguieron entonces, con el Ministerio de Cultura de Francia, una beca de duración indefinida, con un estudio para que siguiera haciendo sus chatarras, y tarjeta de la Seguridad Social para que se vigilara mejor su mala salud. En París la encontró su esposo apenas diez días antes de su muerte, cuando vino de Bogotá a pasar Con ella el último año nuevo de su vida.
La mujer que Pablo Leyva encontró en París no era la misma que había despedido en Bogotá. Estaba atónita y distante, y su risa explosiva y deslenguada se había apagado para siempre. Sin embargo, un examen médico muy completo había establecido que no tenía nada más que un agotamiento general, que es el nombre científico de la tristeza. El viernes 8 de enero, a nuestro regreso de Barcelona, Mercedes y yo los invitamos a cenar, junto con Enrique Santos Calderón y su esposa, María Teresa. Era una noche glacial de este invierno feroz y triste, y había rastros de nieve congelada en la calle, pero todos quisimos irnos caminando hasta un restaurante cercano. Feliza, sentada a mi izquierda, no había acabado de leer la carta para ordenar la cena, cuando inclinó la cabeza sobre la mesa, muy despacio, sin un suspiro, sin una palabra ni una expresión de dolor, y murió en el instante. Se murió sin saber siquiera por qué, ni qué era lo que había, hecho para morirse así, ni cuáles eran las dos palabras sencillas que hubiera podido decir para no haberse muerto tan lejos de su casa.
Untitled, issu de la série Las Histéricas [Les Hystériques], 1968, chutes d’acier inoxydable.Untitled, Minimáquinas [Minimachines], 1973, pièces de métal de machine à écrire.
Un grand poète. Prix Nobel de littérature 2020. Souvenir : je l’ai lue essentiellement pendant le confinement. L’original en anglais, une traduction en français et deux versions en espagnol publiées par Pre-Textos et Visor.
Confession(Louise Glück)
To say I’m without fear— It wouldn’t be true. I’m afraid of sickness, humiliation. Like anyone, I have my dreams. But I’ve learned to hide them, To protect myself From fulfillment: all happiness Attracts the Fates’ anger. They are sisters, savages— In the end they have No emotion but envy.
Ararat.Ecco Press, 1990.
Confession
Dire que je suis sans peur – Ce ne serait pas vrai. J’ai peur de la maladie, de l’humiliation. Comme tout le monde, j’ai mes rêves. Mais j’ai appris à les cacher, A me protéger De l’accomplissement : toute félicité Attire la colère de la destinée. Ce sont des sœurs, des sauvages – En fin de compte, elles n’ont D’autre émotion que la jalousie.
Ararat. Traduction : Stéphane Chabrières.
Confesión
Decir que nada temo sería faltar a la verdad. La enfermedad, la humillación, me atemorizan. Tengo sueños, como cualquiera. Pero aprendí a ocultarlos para protegerme de la plenitud: la felicidad atrae a las Furias. Son hermanas, salvajes, que no tienen sentimientos, sólo envidia.
Ararat. Pre-Textos, 2008. Traduction : Abraham Gragera López.
Confesión
Decir que no tengo miedo… sería faltar a la verdad. Temo a la enfermedad, a la humillación. Tengo sueños, como todos. Pero he aprendido a ocultarlos para protegerme de que se cumplan: la felicidad atrae la ira de las Parcas. Son hermanas, salvajes: en el fondo, no tienen más sentimientos que la envidia.
Ararat. Colección Visor de Poesía. 2021. Traduction Andrés Catalán.
Merci à l’enseignante de ma petite-fille S. qui fait apprendre ce poème à ses élèves de CM2.
Demain
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses, Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille, Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu, Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille Á maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore De la splendeur du jour et de tous ses présents. Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
État de veille, 1942. in Destinée arbitraire. NRF Poésie/Gallimard n°112. Octobre 1975.
Charlotte Delbo. Paris. Boulevard Arago. Résistantes. Femmes dans la Résistance française. (C215 – Christian Guémy)
J’ai écouté en podcast sur France Culture l’émission de Marie Richeux Le Book Club : Dans la bibliothèque de la pianiste Anne Quéffelec. Elle évoque un passage d’Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo.
” Il y a beaucoup de textes de Charlotte Delbo que je ne pourrais pas lire tellement ils sont saisissants. Je n’oserais même pas le faire, parce que j’ai le sentiment qu’on ne peut que les lire en silence avec le texte ou les yeux. “
Il faut lire et relire Charlotte Delbo (Vigneux-sur-Seine, 10 août 1913 – Paris, 1 mars 1985).
Auschwitz et après.
I. Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970)
II. Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970)
III. Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)
IV. La mémoire et les jours (Berg International, 1985 . Éditions de Minuit, 1970)
Le convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit, 1965)
Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants et autres poèmes (Éditions de Minuit, 2024)
Auschwitz et après. Tome I. Aucun de nous ne reviendra. Éditions de Minuit, 1970. Pages 97-99.
La tulipe
Au loin se dessine une maison. Sous les rafales, elle fait penser à un bateau, en hiver. Un bateau à l’ancre dans un port nordique. Un bateau à l’horizon gris.
Nous allions la tête baissée sous les rafales de neige fondu qui cinglaient au visage, piquaient comme grêle. Á chaque rafale, nous redoutions la suivante et courbions davantage la tête. La rafale s’abattait, giflait, lacérait. Une poignée de gros sel lancée à toute violence en pleine figure. Nous avancions, poussant devant nous une falaise de vent et de neige.
Où allions-nous ?
C’était une direction que n’avions jamais prise. Nous avions tourné avant le ruisseau. La route en remblai longeait un lac. Un grand lac gelé.
Vers quoi allions-nous ? Que pouvions-nous faire par là ? La question que nous posait l’aube à chaque aube. Quel travail nous attend ? Marais, wagonnets, briques, sable. Nous ne pouvions penser ces mots-là sans que le coeur nous manquât.
Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d’acier. Un paysage qui ne répond pas.
La route s’écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C’est là qu’apparaît la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.
Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons « mousseline » avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l’entre-deux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.
Les yeux brillent comme à une apparition. « Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe. » Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. « Weiter », crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l’avons depuis longtemps dépassée.
Tout le jour nous rêvons à la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.
Au retour, bien avant d’arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l’appel, à des camarades qui n’étaient pas avec nous, nous disions : « Nous avons vu une tulipe. »
Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D’autres ont dû l’achever. Le matin, au croisement d’où partait la route du lac, nous avions un moment d’espoir.
Quand nous avons appris que c’était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu’ils n’avaient pas encore séchée en nous.
Portrait de W. B. Yeats (John Singer Sargent). 1908. Collection privée.
Nous regardons un peu par hasard une mini-série policière anglaise de Sean Cook, Redemption (2022). C’est aussi un drame familial. Colette Cunningham, enquêtrice au sein de la brigade criminelle de Liverpool, est une femme forte. Elle reçoit un appel inattendu de Dublin. Un corps a été retrouvé. Colette est indiquée comme son parent le plus proche. Elle s’envole pour Dublin afin d’identifier sa fille, Kate, disparue depuis vingt ans. Plein de chagrin et de culpabilité, Colette décide de rester en Irlande pour s’occuper des deux enfants de Kate et de travailler pour la Garda, la police irlandaise. Elle essaie de reconstituer la vérité sur la mort de sa fille. Elle veut résoudre le mystère qui entoure sa mort.
Lors de l’enterrement, Colette lit un poème de W.B. Yeats que sa fille aimait particulièrement :
Au bas des jardins de saules
Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour. Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige. Tu me dis de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles, Mais moi j’étais jeune et fou et je n’ai pas voulu te comprendre.
Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour, Et sur mon épaule penchée tu posas ta main qui est comme neige. Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée, Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.
Quarante-cinq poèmes suivis de La Résurrection présentés et traduits par Yves Bonnefoy. Hermann, 1989. NRF Poésie/Gallimard n°273, 2004.
Down by the salley gardens
Down by the salley gardens my love and I did meet ; She passed the salley gardens with little snow-white feet. She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree ; But I, being young and foolish, with her would not agree.
In a field by the river my love and I did stand, And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand. She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs ; But I was young and foolish, and now am full of tears.
Malaga commémore le centenaire de l’imprimerie Sur, fondée en octobre 1925 par le poète Emilio Prados (1899-1962). Il collabora avec Manuel Altolaguirre (1905-1959) et plus tard brièvement avec José María Hinojosa (1904-1936).
Du 6 mars au 23 mai 2025, une exposition célèbre ce centenaire au centre culturel María Victoria Atencia de Malaga (Calle Ollerías, 34) : Imprenta Sur (1925-2025). Cien años, Cien objetos. Le commissaire de l’exposition est Rafael Inglada.
Jardin vertical. Place Pepe Mena. Malaga.
On peut voir dans deux salles des dessins, des photographies, des machines d’imprimerie d’époque, des objets personnels et bien sûr des éditions de Sur et de Litoral. Cette mythique revue fut remplacée en 1937, après l’occupation de la ville par les troupes franquistes, par Dardo.
Des œuvres d’Emilio Prados (Tiempo), Federico García Lorca (Canciones), Luis Cernuda (Perfil del aire) Rafael Alberti, Juan Gris ou Pablo Picasso furent imprimées là. Dans la revue Litoral, créée une année plus tard, en 1926, publièrent entre autres Juan Ramón Jiménez, Jorge Guillén, José Bergamín, Gerardo Diego, Federico García Lorca, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Vicente Aleixandre, Salvador Dalí, Juan Gris, Manuel de Falla. Le peintre María Ángeles Ortiz conçut la première page de cette magnifique revue. Son poisson devint un des symboles de la Génération de 1927.
Premier numéro de la revue Litoral. 1926. Dessin de María Ángeles Ortiz.
L’imprimerie s’ installa d’abord Calle Tomás Heredia, n°24, puis Calle de San Lorenzo, n°12.
Manuel Altolaguirre l’évoqua ainsi : « …Nuestra imprenta tenía forma de barco, con sus barandas, salvavidas, faroles, vigas de azul y blanco, cartas marítimas, cajas de galletas y vino para los naufragios. Era una imprenta llena de aprendices, uno manco, aprendices como grumetes, que llenaban de alegría el pequeño taller, que tenía flores, cuadros de Picasso, música de don Manuel de Falla, libros de Juan Ramón Jiménez en los estantes. Imprenta alegre como un circo […]. Entre otras cosas, teníamos en un rincón una escafandra de buzo y en la vitrina una mano de madera articulada, de las que sirven para agrandar los guantes. Son recuerdos prosaicos. Pero la imprenta era un verdadero rincón de poesía. Con muy pocas máquinas, con muchos sillones, con más conversación que trabajo, casi siempre desinteresado, artístico, porque Emilio era y es el hombre más generoso del mundo. »
Antigua Imprenta Sur. Málaga.
L’imprimerie Sur fonctionne toujours grâce à une famille d’imprimeurs, les Andrade, bien qu’elle ait connu de nombreuses vicissitudes. Elle est gérée depuis 2000 par le Centro Generación del 27 de la Diputación de Málaga. De même, la revue Litoral a pu réapparaître à Torremolinos en 1968 grâce à José María Amado et à la société Revista Litoral, S.A. Son directeur actuel est le peintre Lorenzo Saval Prados et sa directrice adjointe María José Amado, son épouse.
Revista Litoral. S.A. Ediciones Litoral. Urbanización La Roca, Local 8. 29620 Torremolinos Málaga. litoral@edicioneslitoral.com [+34] 952 388 257
Je n’ai jamais rougi, même devant les jeunes écrivains de mon siècle, de mon admiration pour Buffon ; mais aujourd’hui ce n’est pas l’âme de ce peintre de la nature pompeuse que j’appellerai à mon aide. Non. Bien plus volontiers je m’adresserais à Sterne, et je lui dirais : « Descends du ciel, ou monte vers moi des champs Élyséens, pour m’inspirer en faveur des bons chiens, des pauvres chiens, un chant digne de toi, sentimental farceur, farceur incomparable ; reviens à califourchon sur ce fameux âne qui t’accompagne toujours dans la mémoire de la postérité ; et surtout que cet âne n’oublie pas de porter, délicatement suspendu entre ses lèvres, son immortel macaron ! » Arrière la Muse académique ! Je n’ai que faire de cette vieille bégueule. J’invoque la Muse familière, la citadine, la vivante, pour qu’elle m’aide à chanter les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte, comme pestiférés et pouilleux, excepté le pauvre dont ils sont les associés, et le poète qui les regarde d’un œil fraternel. Fi du chien bellâtre, de ce fat quadrupède, danois, king-charles, carlin ou gredin, si enchanté de lui-même qu’il s’élance indiscrètement dans les jambes ou sur les genoux du visiteur, comme s’il était sûr de plaire, turbulent comme un enfant, sot comme une lorette, quelquefois hargneux et insolent comme un domestique ! Fi surtout de ces serpents à quatre pattes, frissonnants et désœuvrés, qu’on nomme levrettes, et qui ne logent même pas dans leur museau pointu assez de flair pour suivre la piste d’un ami, ni dans leur tête aplatie assez d’intelligence pour jouer au domino ! À la niche, tous ces fatigants parasites ! Qu’ils retournent à leur niche soyeuse et capitonnée ! Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l’instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l’histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne des intelligences ! Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l’homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : « Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur ! » « Où vont les chiens » disait autrefois Nestor Roqueplan dans un immortel feuilleton qu’il a sans doute oublié, et dont moi seul, et Sainte-Beuve peut-être, nous nous souvenons encore aujourd’hui. Où vont les chiens, dites-vous, hommes peu attentifs ? Ils vont à leurs affaires. Rendez-vous d’affaires, rendez-vous d’amour. À travers la brume, à travers la neige, à travers la crotte, sous la canicule mordante, sous la pluie ruisselante, ils vont, ils viennent, ils trottent, ils passent sous les voitures, excités par les puces, la passion, le besoin ou le devoir. Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d’une cuisine du Palais-Royal ; d’autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s’est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n’en veulent plus. D’autres qui, comme des nègres marrons, affolés d’amour, quittent, à de certains jours, leur département pour venir à la ville, gambader, pendant une heure, autour d’une belle chienne, un peu négligée dans sa toilette, mais fière et reconnaissante. Et ils sont tous très exacts, sans carnets, sans notes et sans portefeuilles. Connaissez-vous la paresseuse Belgique, et avez-vous admiré comme moi tous ces chiens vigoureux attelés à la charrette du boucher, de la laitière ou du boulanger, et qui témoignent, par leurs aboiements triomphants, du plaisir orgueilleux qu’ils éprouvent à rivaliser avec les chevaux ? En voici deux qui appartiennent à un ordre encore plus civilisé ! Permettez-moi de vous introduire dans la chambre du saltimbanque absent. Un lit, en bois peint, sans rideaux, des couvertures traînantes et souillées de punaises, deux chaises de paille, un poêle de fonte, un ou deux instruments de musique détraqués, oh ! le triste mobilier ! Mais regardez, je vous prie, ces deux personnages intelligents, habillés de vêtements à la fois éraillés et somptueux, coiffés comme des troubadours ou des militaires, qui surveillent, avec une attention de sorciers l’œuvre sans nom qui mitonne sur le poêle allumé, et au centre de laquelle une longue cuiller de bois se dresse, plantée comme un de ces mâts aériens qui annoncent que la maçonnerie est achevée. N’est-il pas juste que de si zélés comédiens ne se mettent pas en route sans avoir lesté leur estomac d’une soupe puissante et solide ? Et ne pardonnerez-vous pas un peu de sensualité à ces pauvres diables qui ont à affronter tout le jour l’indifférence du public et les injustices d’un directeur qui se fait la grosse part et mange à lui seul plus de soupe que quatre comédiens ? Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens. Et que de fois j’ai pensé qu’il y avait peut-être quelque part (qui sait, après tout ?), pour récompenser tant de courage, tant de patience et de labeur, un paradis spécial pour les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés et désolés. Swedenborg affirme bien qu’il y en a un pour les Hollandais et un pour les Turcs ! Les Bergers de Virgile et de Théocrite attendaient, pour prix de leur chant alterné, un bon fromage, une flûte du meilleur faiseur, ou une chèvre aux mamelles gonflées. Le poète qui a chanté les pauvres chiens a reçu pour récompense un beau gilet, d’une couleur, à la fois riche et fanée, qui fait penser aux soleils d’automne, à la beauté des femmes mûres et aux étés de la Saint-Martin. Aucun de ceux qui étaient présents dans la taverne de la rue Villa-Hermosa n’oubliera avec quelle pétulance le peintre s’est dépouillé de son gilet en faveur du poète, tant il a bien compris qu’il était bon et honnête de chanter les pauvres chiens. Tel un magnifique tyran italien, du bon temps, offrait au divin Arétin soit une dague enrichie de pierreries, soit un manteau de cour, en échange d’un précieux sonnet ou d’un curieux poème satirique. Et toutes les fois que le poète endosse le gilet du peintre, il est contraint de penser aux bons chiens, aux chiens philosophes, aux étés de la Saint-Martin et à la beauté des femmes très mûres.
Le Spleen de Paris, 1869.
Paris. Cimetière du Montparnasse. Cénotaphe de Baudelaire (José de Charmoy) 1902.
” Les bons chiens est un hommage au peintre animalier Joseph Stevens (1816-1892), frère du marchand d’art Arthur Stevens et du peintre de genre Alfred Stevens. Baudelaire a fréquenté les trois frères durant son séjour en Belgique (avril 1864-juin 1866). Il a vu des peintures de Joseph Stevens et des ” chiens habillés ” dans la collection Crabbe. (…)
L‘Indépendance belge du 21 juin 1865 révèle que Joseph Stevens avait offert son gilet à Baudelaire ” sous la condition qu’il écrirait quelque chose sur les chiens des pauvres “.
(Baudelaire, Oeuvres complètes II. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 2024. Notices, notes et variantes. Page 1586.)
Le cinéaste anglais a toujours fait des films personnels et intéressants malgré les difficultés de production qu’il a rencontrées.
En 1988, j’avais beaucoup aimé Distant voices, Still Lives, qui recrée la vie d’une famille de la classe ouvrière à Liverpool dans les années 1940 et 1950.
Son dernier film, sorti en en 2021, retrace la vie du poète anglais Siegfried Sassoon (1886 – 1967) : Les Carnets de Siegfried.
Il est mort à 77 ans le 7 octobre 2023 à Mistley (Essex – Angleterre).
J’ai repris à la Médiathèque de Noisiel la belle édition livre-DVD Collector (96 pages) Emily Dickinson, A Quiet Passion (2016).
Les films de Terence Davies sont toujours beaux et âpres. La dureté des hommes (surtout celle des pères) ne donne aux femmes qu’une alternative : le sacrifice ou la rédemption. C’est le cas du personnage de la mère dans Distant voices, Still Lives, mais aussi dans celui de Chris Guthrie dans Sunset Song (2015).
Dans Emily Dickinson, A Quiet Passion, la femme reste prisionnière. La poétesse est enfermée dans une cage dont elle ne sortira pas. Il y a moins d’échappées musicales que dans les autres films du cinéaste (seulement une sortie à l’opéra et quelques moments dans la maison familiale d’Amherst – Massachusetts).
La récitation des poèmes ponctue tout le film qui commence par une séquence qui montre la violente opposition d’Emily à l’autorité, incarnée par la directrice de Mount Holyoke Seminary, (établissement d’études supérieures pour jeunes filles) où elle ne restera que dix mois. Plus tard, en présence de son père et de sa famille. elle refusera de s’agenouiller pour rendre grâce à la demande d’un nouveau pasteur.
La première partie de l’oeuvre est légère, presque frivole. On remarque des personnages réels (Susan Gilbert, sa belle sœur, jouée Jodhi May), et d’autres inventés (Vryling Buffam, incarnée par Catherine Bailey). Les bons mots, les paradoxes, l’humour pince-sans-rire font sourire le spectateur.
Ensuite, Emily Dickinson reste jusqu’à la fin de sa vie dans la maison de cette famille, austère et aimante. Elle se retire progressivement du monde extérieur, s’habille en blanc et refuse de descendre de sa chambre. Sa vie se termine dans les souffrances de la maladie de Bright, caractérisée par un dysfonctionnement rénal incurable.
Terence Davies dresse le portait d’une femme d’une grande intransigeance morale qui n’hésite pas à exprimer sa rage. Elle remet en cause de l’intérieur l’autorité des Puritains comme le font à la même époque Ralph Waldo Emerson (1803-1882) et les transcendantalistes.
On retrouve dans ce film certains thèmes caractéristiques de l’oeuvre de Terence Davies : la fuite du temps, la hantise de la mort, l’amour de la nature.
Trois poèmes lus dans le film :
1037
The dying need but little, dear,— A glass of water’s all, A flower’s unobtrusive face To punctuate the wall,
A fan, perhaps, a friend’s regret, And certainly that one No color in the rainbow Perceives when you are gone.
1865.
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Les Mourants ont besoin de peu, Doux Ami, Un Verre d’eau, c’est tout, Le Visage discret d’une fleur Pour ponctuer le Mur,
Un Éventail, peut-être, le regret d’un Ami Et la Certitude qu’on ne percevra plus Les couleurs de l’arc-en-ciel Quand tu auras disparu –
Traduction Françoise Dolphy.
453
Our journey had advanced – Our feet were almost come To that odd Fork in Being’s Road – Eternity – by Term –
Our pace took sudden awe – Our feet – reluctant – led – Before – were Cities – but Between – The Forest of the Dead—
Retreat – was out of Hope – Behind – a Sealed Route – Eternity’s White Flag – Before – And God – at every Gate –
1862.
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Notre voyage était bien engagé – Nos pieds étaient presque arrivés Á cette étrange bifurcation sur la Route de l’Être – Qu’on Nomme – l’Éternité –
Notre allure fut soudain entachée d’effroi – Nos pieds – avançaient – de mauvaise grâce – La Forêt des Morts –
Pas le moindre Espoir – de rebrousse chemin – Derrière – une Route sans issue – Le drapeau Blanc de l’éternité – devant – Et Dieu – à chaque Portail –
Traduction Françoise Delphy.
519
This is my letter to the World That never wrote to Me – The simple News that Nature told – With tender Majesty
Her Message is committed To Hands I cannot see – For love of Her – Sweet – countrymen – Judge tenderly – of Me
1863.
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Ceci est ma lettre au Monde Qui jamais ne M’a écrit – Simples Nouvelles racontées par la Nature – Avec une tendre Majesté
Elle confie son Message À des Mains que je ne vois pas Par amour pour Elle – Doux – compatriotes – Jugez-Moi – avec tendresse