Cristina Peri Rossi est une poétesse, traductrice, nouvelliste et romancière. Elle vient de recevoir le Prix Cervantès 2021, la récompense la plus importante pour la littérature en espagnol . Elle est la sixième femme à obtenir ce prix après María Zambrano (1988), Dulce María Loynaz (1992), Ana María Matute (2010), Elena Poniatowska (2013) et Ida Vitale (2018).
Elle est née à Montevideo le 12 novembre 1941.
Après une licence de littérature comparée, elle commence à enseigner. Son premier recueil de nouvelles, Viviendo, paraît en 1963. Elle publie ensuite un recueil de poèmes, Evohé : poemas eróticos (1971), qui fait scandale par son expression du lesbianisme.
Elle s’exile le 4 octobre 1972, sous le gouvernement autoritaire du président Juan María Bordaberry, sa vie étant menacée. En effet, elle est militante du Frente Amplio et collaboratrice de la revue progressiste Marcha. Après le coup d’état du 27 juin 1973, l’armée détient la réalité du pouvoir en Uruguay. Les livres de Cristina Peri Rossi sont interdits. Elle s’installe à Barcelone en 1974 où elle vit encore aujourd’hui. Elle obtient la nationalité espagnole en 1975, tout en conservant sa nationalité uruguayenne.
Cristina Peri Rossi a publié des nouvelles, des romans et de nombreux recueils de poèmes.
Son oeuvre fait souvent allusion à la répression en Amérique latine dans les années 70 et 80, à la dictature dans les pays du Cône Sud et à l’exil. Elle a rendu hommage à Julio Cortázar dont elle fut proche dans Julio Cortázar et Cris, 2014. J’ai relu ce livre hier soir. J’en avais déjà parlé sur ce blog.
Julio Cortázar avait écrit pour elle 15 poèmes que l’on trouve dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984) : Cinco poemas para Cris, Otros cinco poemas para Cris, Cinco últimos poemas para Cris. Ce livre a été traduit par les Éditions José Corti en 2010 (Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. ) Il mêle poésie et prose et avait été assemblé par Cortázar peu avant sa mort le 12 février 1984.
Ouvrages de Cristina Peri Rossi traduits en français :
1976 La tarde del dinosaurio 1980 La rebelión de los niños. Ces deux recueils de nouvelles ont été publiés ensemble sous le titre Le soir du dinosaure. Actes sud, 1985. 1988 Solitario de amor, traduit sous le titre L’Amour sans elle chez Phébus en 1997.
Cinco poemas para Cris (Julio Cortázar)
1. Ya mucho más allá del mezzo camin di nostra vita existe un territorio del amor un laberinto más mental que mítico donde es posible ser lentamente dichoso sin el hilo de Ariadna delirante si espumas ni sábanas ni muslos. Todo se cumple en un reflejo de crepúsculo tu pelo tu perfume tu saliva. Y allí del otro lado te poseo mientras tú juegas con tu amiga los juegos de la noche.
Julio Cortázar aimait la boxe. Cristina Peri Rossi préférait le football.
Distancia justa (Cristina Peri Rossi)
En el amor y en el boxeo, todo es cuestión de distancia. Si te acercas demasiado me excito me asusto me obnubilo, digo tonterías me echo a temblar. Pero si estás lejos sufro entristezco me desvelo y escribo poemas.
Otra vez Eros, 1994.
Juste distance
En amour, et dans la boxe tout est question de distance. Si tu t’approches trop je m’excite m’effraie m’obnubile, je dis des bêtises me mets à trembler. mais si tu es loin je souffre deviens triste perds le sommeil et j’écris des poèmes.
Les Éditions Chandeigne viennentde publier La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle. Cette anthologie a été éditée et les poèmes traduits par Max de Carvalho. C’est une édition bilingue. 1892 pages (!!!). 49 euros. Environ trois cents poètes et plus de mille poèmes. C’est un objet magnifique et l’anthologie semble très bien faite. Mathias Énard a publié une critique élogieuse dans Le Monde des Livres du 3 novembre 2021. C’est bientôt Noël et il y a tant de bons poètes portugais. Les poèmes du XIX et du XX siècles occupent les quatre cinquièmes du livre.
Mathias Énard à la fin de son article donne comme exemple un poème de Sophia de Mello Breyner, un de mes écrivains portugais préférés: Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio ineluctável ( Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable ). Dans l’anthologie, on trouve Apequena praça (La petite place). J’ajoute ici la traduction Raymond Farina.
Sophia de Mello Breyner. 1919-2004.
Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio inelutàvel(Sophia de Mello Breyner)
Minúcia é o labirinto muro por muro Pedra contra pedra livro sobre livro Rua após rua escada após escada Se faz e se desfaz o labirinto Palácio é o labirinto e nele Se multiplicam as salas e cintilam Os quartos de Babel roucos e vermelhos Passado é o labirinto : seus jardins afloram E do fundo da memória sobem as escadas Encruzilhada é o labirinto e antro e gruta Biblioteca rede inventário colmeia – Itinerário é o labirinto Como o subir dum astro inelutável – Mas aquele que o percorre não encontra Toiro nenhum solar nem sol nem lua Mas só o vidro sucessivo do vazio E um brilho de azulejos iman frio Onde os espelhos devoram as imagens
Exauridos pelo labirinto caminhamos Na minúcia da busca na atenção da busca Na luz mutável : de quadrado em quadrado Encontramos desvios redes e castelos Torres de vidro corredores de espanto Mas um dia emergiremos e as cidades Da equidade mostrarão seu branco Sua cal sua aurora seu prodígio
Dual. 1972.
Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable
Le labyrinthe est minutie mur par mur Pierre contre pierre livre sur livre Une rue après l’autre, un escalier après l’autre Se forme et se défait le labyrinthe Le labyrinthe est un palais et en lui Se multiplient les salles et scintillent Les chambres de Babel rauques et rouges Le labyrinthe est passé : ses jardins affleurent Et du fond de la mémoire montent les escaliers Le labyrinthe est carrefour antre et grotte Bibliothèque mailles inventaires ruche – Le labyrinthe est itinéraire Comme l’ascension d’un astre inéluctable – Mais celui qui le parcourt ne rencontre aucun Taureau aucune demeure soleil ni lune Seulement le vide successif du verre Et un éclat d’azulejos magnétisme froid Où les miroirs dévorent les images
Épuisés par le labyrinthe nous allons Dans la minutie de la quête Dans la lumière changeante : de carré en carré Nous rencontrons détours, bifurcations et châteaux Des tours de verre des couloirs d’épouvante Mais un jour nous émergerons et les villes D’équité montreront leur blancheur Leur chaux leur aube leur prodige
La Poésie du Portugal, pages 1150-1152. Traduction Max de Carvalho.
.Composition 55 (Maria Helena Vieira Da Silva). 1955. Paris, Galerie Jeanne Bucher
A pequena praça (Sophia de Mello Breyner)
A minha vida tinha tomado a forma da pequena praça Naquele outono em que a tua morte se organizava meticulosamente Eu agarrava-me à praça porque tu amavas A humanidade humilde e nostálgica dos pequenas lojas Onde os caixeiros dobram e desdobram fitos e fazendas Eu procurava tornar-me tu porque tu ias morrer E a vida toda deixava ali de ser a minha Eu procurava sorrir como tu sorrias Ao vendedor de jornais ao vendedor de tabaco E à mulher sem pernas que vendia violetas Eu pedia à mulher sem pernas que rezasse por ti Eu acendia velas em todos os altares Das igrejas que ficam no canto desta praça Pois mal abri os olhos e vi foi para ler A vocação do eterno escrita no teu rosto Eu convocava as ruas os lugares as gentes Que foram as testemunhas do teu rosto Para que eles te chamassem para que eles desfizessem O tecido que a morte entrelaçava em ti
Dual, 1972.
La petite place
Ma vie a pris la forme de la petite place L’automne durant lequel ta mort s’organisait méticuleusement Je m’attachais à cette petite place parce que tu aimais L’humble et nostalgique humanité des petites boutiques Où les commis plient et déplient rubans et étoffes Je cherchais à devenir toi parce que tu allais mourir Et là toute ma vie cessa d’être la mienne J’essayais de sourire comme tu souriais Au marchand de journaux au marchand de tabac Et à la femme sans jambes qui vendait des violettes Je demandais à la femme sans jambes de prier pour toi J’allumais des cierges à tous les autels Des églises qui se trouvaient au coin de cette place Puisque dès que j’ai ouvert les yeux je ne vis que pour lire La vocation de l’éternel écrite sur ton visage Je convoquais les rues les lieux les gens Qui furent les témoins de ton visage Pour qu’ils t’appellent pour qu’ils défassent La trame que la mort entrelaçait en toi.
El País a publié hier un article sur un poète de la Génération de 1927 que j’aime beaucoup : Emilio Prados. (Málaga se reencuentra con Emilio Prados, el poeta menos conocido de la Generación del 27)
Le Centro Cultural de la Fundación Unicaja organise une exposition Emilio Prados, el mar de la nostalgia. Sa ville natale met aussi en valeur son image en organisant des journées, des parcours littéraires et en facilitant diverses publications. Jorge Peña tourne actuellement un documentaire : Emilio Prados, cazador de nubes. En effet, Federico García Lorca, son ami, l’appelait ainsi quand il voyait que Prados plaçait un miroir face à la fenêtre de sa chambre de la Residencia de Estudiantes de Madrid. Pedro Salinas l’a décrit comme un « místico de la soledad » et María Zambrano comme « el poeta de la muerte ». Pour Juan Ramón Jiménez, c’était un “poeta de huidas y siempre en fuga, de sí mismo y de los demás”
José Sanchis-Banús (1921-1987), mon professeur à l’Institut d’Études Hispaniques, militant socialiste et franc-maçon, était un grand spécialiste de son œuvre. Pre-Textos a publié la correspondance entre les deux hommes (José Sanchis-Banús. Emilio Prados. Correspondencia 1957-1962. Valencia, 1995)
Emilio Prados est né le 4 mars 1899 à Málaga.
Le père d’Emilio Prados possède une fabrique de meubles (Fábrica de Muebles Prados Hermanos S.A.), installé dans le palais de Buenavista où se trouve aujourd’hui le magnifique Musée Picasso.
Le poète est un amoureux de la nature. Il parcourt Los Montes de Málaga avec son ami, le berger Antonio Ríos. Il nage, il plonge dans la Méditerranée. Il fréquente régulièrement le quartier pauvre de El Palo, à l’est de Málaga, et la crique El Peñón del Cuervo. Il apprend à lire et à écrire aux enfants des pêcheurs qui sont analphabètes, fait de l’animation culturelle, organise un syndicat.
Il séjourne à la Residencia de Estudiantes de Madrid en 1918 avec son frère aîné Miguel qui étudie la psychiatrie. Il devient l’ami de Federico García Lorca. De 1921 à 1922, il séjourne au Waldsanatorium de Davos pour soigner la maladie pulmonaire dont il souffre depuis l’enfance. Il étudie ensuite la philosophie à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) où enseignent les philosophes Edmund Husserl et Martin Heidegger. Il fait aussi deux courts séjours à Paris où il fait la connaissance de Jean Cocteau et Pablo Picasso dont il visite l’atelier.
En 1924, il abandonne ses études universitaires et revient à Málaga. Il crée en 1926 l’imprimerie et maison d’édition Sur et la revue Litoral (Calle de San Lorenzo) avec un autre poète, Manuel Altolaguirre. Ce lieu devient essentiel pour tous les poètes de sa génération.
A partir de 1930, il publie de la poésie révolutionnaire. Il est membre de l’Alliance des intellectuels antifascistes et se rend à Madrid, en août 1936, au début de la guerre civile. Il lit à la radio ses romances de guerre. Replié à Valence, il collabore à la revue Hora de España et sélectionne les poèmes qui feront l’objet du Romancero de la guerra de España, publié en 1937.
A la fin de la guerre, il s’exile, d’abord en France en février 1939, puis au Mexique en mai 1939. Il y trouve du travail dans l’édition et dans l’enseignement. En 1942, il adopte un orphelin espagnol, Francisco Sala. Il vit très pauvrement à Mexico dans une petite chambre (Calle Lerma) entouré d’ étoiles de mer, du portrait de Federico García Lorca, de livres et d’une petite boîte contenant du sable provenant des plages de Málaga. Son frère Miguel, psychiatre au Canada, l’aide financièrement. Il meurt le 24 avril 1962 dans cette ville après 23 années d’exil.
Luis Eaton-Daniel, Juan Centeno, Federico García Lorca, Emilio Prados, Pepín Bello. Residencia de Estudiantes de Madrid, 1924.
XVI. Dormido en la yerba ( Emilio Prados )
Todos vienen a darme consejo. Yo estoy dormido junto a un pozo.
Todos se acercan y me dicen: – La vida se te va, y tú te tiendes en la yerba, bajo la luz más tenue del crepúsculo, atento solamente a mirar cómo nace el temblor del lucero o el pequeño rumor del agua, entre los árboles.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando ya tus cabellos comienzan a sentir más cerca y fríos que nunca, la caricia y el beso de la mano constante y sueño de la luna.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando apenas si puedes sentir en tu costado el húmedo calor del grano que germina y el amargo crujir de la rosa ya muerta.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando apenas si el viento contiene su rigor, al mirar en ruina los muros de tu espalda, y, el sol, ni se detiene a levantar tu sangre del silencio.
Todos se acercan y me dicen: – La vida se te va. Tú vienes de la orilla donde crece el romero y la alhucema entre la nieve y el jazmín, eternos, y es un mar todo espumas lo que aquí te ha traído porque nos hables… Y tú te duermes sobre la yerba.
Todos se acercan para decirme. – Tú duermes en la tierra y tu corazón sangra y sangra, gota a gota ya sin dolor, encima de tu sueño, como en lo más oscuro del jardín, en la noche, ya sin olor, se muere la violeta.
Todos vienen a darme consejo. Yo estoy dormido junto a un pozo.
Sólo, si algún amigo mio se acerca, y, sin pregunta me da un abrazo entre las sombras: lo llevo hasta asomarnos al borde, juntos, del abismo, y, en sus profundas aguas, ver llorar a la luna y su reflejo, que más tarde ha de hundirse como piedra de oro, bajo el otoño frío de la muerte.
Ils viennent tous me donner des leçons. Moi, je dors auprès d’un puits.
Tous s’approchent et me disent : – Ta vie s’en va, Et toi tu gis sur l’herbe, Á la lumière fragile du crépuscule, Attentif seulement Á observer le premier Frémissement de l’astre, Le léger bruissement de l’eau, parmi les arbres.
Et toi tu gis sur l’herbe : Alors que tes cheveux déjà commencent à percevoir Plus proches, plus froids que jamais, La caresse et le baiser De la main persistante Et du rêve de la lune.
Toi tu gis sur l’herbe : Alors que c’est à peine si tu peux Percevoir dans ton flanc La chaleur humide De la graine qui germe Et l’amer craquement De la rose, morte.
Et toi tu gis sur l’herbe : Alors que c’est à peine si le vent Réfrène sa violence, En voyant en ruine Les murs de ton dos, Et que le soleil ne s’arrête pas Pour arracher ton sang au silence.
Tous s’approchent et me disent : – Ta vie s’en va, Toi, tu viens des rivages Où le romarin pousse et la lavande Entre la neige et le jasmin, éternels ; C’est une mer d’écumes Qui t’a amené ici, Pour que tu nous parles… Mais toi, tu dors sur l’herbe.
Tous s’approchent pour me dire : – Tu dors sur la terre, Ton coeur saigne, Il saigne, goutte à goutte, Insensible, sur ton sommeil, Comme au plus profond Du jardin, au sein de la nuit, Inodore, se meurt la violette.
Ils viennent tous me donner des leçons. Moi, auprès d’un puits, je dors.
Mais si d’aventure un ami S’approche et, sans poser de questions, M’embrasse au milieu des ombres : Je l’amène nous pencher Au bord, tous les deux, de l’abîme, Voir, dans ses eaux profondes, Pleurer la lune et son reflet, Qui, plus tard, s’abîmera Comme une pierre d’or, Sous l’automne froid de la mort.
Traduction : Nadine Ly. Anthologie bilingue de la poésie espagnole (Bibliothèque de la Pléiade, NRF. Gallimard. 1995)
Voir un autre poème sur ce blog: Rincón de la sangre.
John Keats est né le 31 octobre 1795 à Londres. Il est mort le 23 février 1821 à Rome.
“Hay un verso de Keats que es quizá una de las claves más transparentes de su poesía […]. Es el verso con que comienza su poema «Endymion»: A thing of beauty is a joy for ever (Una cosa bella es un goce eterno) […]. Cuando busco en la poesía española una pasión semejante, siempre pienso en Luis Cernuda. Cernuda también cree, como Keats, que la belleza es un goce eterno.” José Luis Cano, Keats y Cernuda (1950), in La poesía de la Generación del 27, Madrid, Guadarrama, 1970.
A propósito de flores (Luis Cernuda)
Era un joven poeta, apenas conocido. En su salida primera al mundo Buscaba alivio a su dolencia Cuando muere en Roma, entre sus manos una carta, La última carta, que ni abrir siquiera quiso, De su amor jamás gozado.
El amigo que en la muerte le asistiera Sus palabras finales nos transmite: «Ver cómo crcce alguna flor menuda, El crecer silencioso de las flores, Acaso fue la única dicha Que he tenido en este mundo.»
¿Pureza? Vivo a las flores amadas contemplaba Y mucho habló de ellas en sus versos; En el trance final su mente se volvía A la dicha más pura que conoció en la vida: Ver a la flor que abre, su color y su gracia.
¿Amargura? Vivo, sinsabores tuvo Amargos que apurar, sus breves años Apenas conocieron momentos sin la sombra. En la muerte quiso volverse con tácito sarcasmo A la felicidad de la flor que entreabre.
¿Amargura? ¿Pureza? ¿O, por qué no, ambas a un tiempo? El lirio se corrompe como la hierba mala, Y el poeta no es puro o amargo únicamente: Devuelve sólo al mundo lo que el mundo le ha dado Aunque su genio amargo y puro algo más le regale.
Desolación de la Quimera, 1956-61.
Écrit en janvier ou février 1961. Publié pour la première fois en avril 1961 dans la revue Eco (II, 6) de Bogotá (Colombie).
Joseph Severn (1793-1879) est un peintre anglais. C’est un ami dévoué de John Keats. Il l’accompagne le 17 septembre 1820 sur le Maria Crowther à destination de l’Italie. Le but du voyage est de soigner la maladie du poète, la tuberculose. Ils arrivent dans la baie de Naples le 21 octobre et sont placés en quarantaine pendant 10 jours. Ils séjournent à Naples une semaine, puis se rendent à Rome dans une petite voiture. À Rome, ils vivent dans un appartement, 26 Piazza di Spagna, au pied de l’escalier de la Trinité-des-Monts. Joseph Severn a quitté l’Angleterre contre l’avis de son père. Il a peu d’argent. Pendant son séjour à Rome lors de l’hiver 1820-1821, il écrit de nombreuses lettres à des amis communs en Angleterre. L’entourage du cercle de Keats et la fiancée du poète, Fanny Brawne, sont tenus au courant de l’évolution de la maladie du poète. Cette correspondance est le seul témoignage des derniers jours de Keats que Joseph Severn soigne jusqu’à sa mort, le 23 février 1821, trois mois après leur arrivée à Rome.
Claudio Rodríguez avec son épouse Clara Miranda. Cuenca, 1965.
Noviembre
Llega otra vez noviembre, que es el mes que más quiero porque sé su secreto, porque me da más vida. La calidad de su aire, que es canción, casi revelación, y sus mañanas tan remediadoras, su ternura codiciosa, su entrañable soledad. Y encontrar una calle en una boca, una casa en un cuerpo mientras, tan caducas, con esa melodía de la ambición perdida, caen las castañas y las telarañas.
Estas castañas, de ocre amarillento, seguras, entreabiertas, dándome libertad junto al temblor en sombra de su cáscara. Las telarañas, con su geometría tan cautelosa y pegajosa, y también con su silencio, con su palpitación oscura como la del coral o la más tierna de la esponja, o de la piña abierta, o la del corazón cuando late sin tiranía, cuando resucita y se limpia. Tras tanto tiempo sin amor, esta mañana qué salvadora. Qué luz tan íntima. Me entra y me da música sin pausas en el momento mismo en que te amo, en que me entrego a ti con alegría, trémulamente e impacientemente, sin mirar a esa puerta donde llama el adiós.
Llegó otra vez noviembre. Lejos quedan los días de los pequeños sueños, de los besos marchitos. Tú eres el mes que quiero. Que no me deje a oscuras tu codiciosa luz olvidadiza y cárdena mientras llega el invierno.
El vuelo de la celebración, Visor, 1976.
Claudio Rodríguez est un des meilleurs poètes espagnols de sa génération. Merci à Asunción García Iglesias, Secrétaire générale de l’Association des Amis de Vicente Aleixandre. Il faut protéger l’ancienne maison de Vicente Aleixandre. Velintonia, 3. Madrid.
Ce poème a été écrit en 1928 par Federico García Lorca et publié par la Revista de Occidente, fondée et dirigée en 1923 par le philosophe José Ortega y Gasset. La traduction française a beaucoup vieilli.
Romance de la pena negra
A José Navarro Pardo
Las piquetas de los gallos cavan buscando la aurora, cuando por el monte oscuro baja Soledad Montoya. Cobre amarillo, su carne, huele a caballo y a sombra. Yunques ahumados sus pechos, gimen canciones redondas. Soledad: ¿por quién preguntas sin compañía y a estas horas? Pregunte por quién pregunte dime: ¿a ti qué se te importa? Vengo a buscar lo que busco, mi alegría y mi persona. Soledad de mis pesares, caballo que se desboca, al fin encuentra la mar y se lo tragan las olas. No me recuerdes el mar que la pena negra, brota en las tierras de aceituna bajo el rumor de las hojas. ¡Soledad, qué pena tienes! ¡Qué pena tan lastimosa! Lloras zumo de limón agrio de espera y de boca ¡Qué pena tan grande! Corro mi casa como una loca, mis dos trenzas por el suelo, de la cocina a la alcoba. ¡Qué pena! Me estoy poniendo de azabache, carne y ropa. ¡Ay mis camisas de hilo! ¡Ay mis muslos de amapola! Soledad: lava tu cuerpo con agua de las alondras, y deja tu corazón en paz, Soledad Montoya.
*
Por abajo canta el río: volante de cielo y hojas. Con flores de calabaza, la nueva luz se corona. ¡Oh pena de los gitanos! Pena limpia y siempre sola. ¡Oh pena de cauce oculto y madrugada remota!
Romancero gitano (1924-1927)
Romance de la peine noire
A José Navarro Pardo
Les pics sonores des coqs font une brèche à l’aurore, quand de la colline sombre descend Soledad Montoya. Cuivre jaune, tout son corps fleure la cavale et l’ombre. Ses seins, enclumes noircies, gémissent des chansons rondes. Soledad, qui cherches-tu solitaire, au point du jour ? Que je cherche qui je cherche, dis-moi si cela t’importe ! Je cours après un seul but, mon bonheur et ma raison. Soledad de mes chagrins, la cavale qui s’emporte, finit par trouver la mer et les vagues la dévorent. Ne parle pas de la mer car la peine noire pousse dans la terre aux oliviers sous la rumeur de leurs branches. Soledad, quelle pitié ! Quelle peine désolante ! Tu as des pleurs de citron, aigres de lèvre et d’attente. Quelle peine ! Je traverse ma maison comme une folle mes cheveux traînant par terre, de la cuisine à l’alcôve. Une peine qui rend comme du jais ma chair et ma robe. Ah, mes cuisses de fil ! Ah, mes cuisses de pavot ! Dans la source aux alouettes, Soledad, lave ton corps, et puis laisse reposer ton coeur, Soledad Montoya.
*
Tout en bas chante un ruisseau, volant de ciel et de feuilles. Des fleurs de la calebasse se couronne le jour neuf. O la peine des gitans ! Peine pure et solitaire. Peine de rive secrète et de matinée lointaine.
Poésies II. Chansons. Poèmes du Cante Jondo. Romancero gitan. NRF. Poésie /Gallimard n°2. Traduction: André Belamich.
Portrait de Federico García Lorca (Gregorio Prieto 1897-1992) Valdepeñas, Museo de la Fundación Gregorio Prieto.
César Vallejo à Paris. 1925 (Armando Maribona (1894 – 1964)
César Vallejo encore et toujours…
Quisiera hoy ser feliz de buena gana, ser feliz y portarme frondoso de preguntas, abrir por temperamento de par en par mi cuarto, como loco, y reclamar, en fin, en mi confianza física acostado, sólo por ver si quieren, sólo por ver si quieren probar de mi espontánea posición, reclamar, voy diciendo, por qué me dan así tanto en el alma.
Pues quisiera en sustancia ser dichoso, obrar sin bastón, laica humildad, ni burro negro. Así las sensaciones de este mundo, los cantos subjuntivos, el lápiz que perdí en mi cavidad y mis amados órganos de llanto.
Hermano persuasible, camarada, padre por la grandeza, hijo mortal, amigo y contendor, inmenso documento de Darwin: ¿a qué hora, pues, vendrán con mi retrato? ¿A los goces? ¿Acaso sobre goce amortajado? ¿Más temprano? ¿Quién sabe, a las porfías?
A las misericordias, camarada, hombre mío en rechazo y observación, vecino en cuyo cuello enorme sube y baja, al natural, sin hilo, mi esperanza…
Poemas humanos, 1939.
Je voudrais aujourd’hui être tout bonnement heureux, être heureux et porter une foison de questions, ouvrir en grand ma chambre par envie, tel un fou, et réclamer, enfin, couché sur ma confiance physique, seulement pour voir si on veut, seulement pour voir si on veut goûter de ma position spontanée, réclamer, dis-je, de savoir pourquoi on frappe tant mon âme ainsi.
Car je voudrais en résumé être heureux, agir sans bâton, laïque humilité, et sans âne noir. De même les sensations de ce monde, les chants subjonctifs, le crayon que j’ai perdu dans ma cavité et mes chers organes à pleurer.
Frère possible, camarade, père par la grandeur, fils mortel, ami et combattant, immense document de Darwin : à quelle heure, donc, viendra-t-on avec mon portrait ? à l’heure des jouissances ? Peut-être vers celle du plaisir enseveli ? Plus tôt ? Qui sait, à l’heure des acharnements ?
À celle des miséricordes, camarade, homme mon ami à distance et en observation, voisin au cou énorme où monte et descend, au naturel, sans fil, mon espérance…
J’aimerais tant que Luis Cernuda soit mieux connu en France. Jacques Ancet est un excellent traducteur et un très bon poète. cf. Luis Cernuda, Poètes d’aujourd’hui n°207. Éditions Seghers. Une étude de Jacques Ancet, avec un choix de textes, des illustrations, une chronologie bibliographique: Luis Cernuda et son temps …Paris, 1972.
Adolescente fui en días idénticos a nubes, cosa grácil, visible por penumbra y reflejo, y extraño es, si ese recuerdo busco, que tanto, tanto duela sobre el cuerpo de hoy.
Perder placer es triste como la dulce lámpara sobre el lento nocturno; aquél fui, aquél fui, aquél he sido; era la ignorancia mi sombra.
Ni gozo ni pena; fui niño prisionero entre muros cambiantes; historias como cuerpos, cristales como cielos, sueño luego, un sueño más alto que la vida.
Cuando la muerte quiera una verdad quitar de entre mis manos, las hallará vacías, como en la adolescencia ardientes de deseo, tendidas hacia el aire.
Donde habite el olvido, 1932-33.
Je fus adolescent en des jours pareils aux nuages, Chose gracile visible à travers pénombre et reflet, Et c’est étrange, si je cherche ce souvenir, Qu’il fasse tant, tant souffrir le corps d’aujourd’hui.
Il est triste de perdre le plaisir Comme la douce lampe sur le lent nocturne ; Cela je le fus, je le fus, je l’ai été ; Et l’ignorance était mon ombre.
Ni plaisir ni peine ; je fus enfant Prisonnier entre des murs changeants ; Histoires comme des corps, vitres comme des cieux, Et puis un songe, un songe plus haut que la vie.
Quand la mort voudra Ôter une vérité de mes mains, Elle les trouvera vides, comme en l’adolescence Ardentes de désir et tendues vers le ciel.
Où habitera l’oubli. Traduction : Jacques Ancet.
La revue El Cultural a publié le 27 septembre 2021 un bon article de Rafael Narbona sur les personnalités de Luis Cernuda et de Juan Ramón Jiménez: Luis Cernuda y Juan Ramón Jiménez: humanos, demasiado humanos.
No em malvendré el silenci. D’aquest cos en conec els topants i les dreceres i n’estimo els esclats, les defallences; no hi visc a plaer, però hi visc i això em basta.
Deixa’m no dir‐te el que hem perdut. Ho saps tan bé com jo, i prou que ho repeteixen tot de corcs, insistents i temeraris només que paris un xic les orelles.
Sí que vull dir‐te, en canvi, el que hem guanyat: un pam de món, concret i destriable, i un vidre de colors per contemplar‐lo.
Tanca els ulls i el veuràs com jo el veig ara.
No et diré pas què hi ha rera cada paraula.
Ara ha plogut i el que resta de tarda serà més íntim i més clar.
Fugim de qualsevol verbositat. Diguem només el que és essencial: els mots de créixer i estimar, i el nom més útil i senzill de cada cosa.
Delimita’m l’espai, però no esperis que renunciï a res d’allò que estimo.
Mira el vent com pren forma de begònies, com neteja els miralls i les cortines i esmola els caires vius d’aquest capvespre.
Tinc una pedra a les mans. Cada nit la deixo caure al pou profund del son i la’n trec l’endemà, xopa de vida.
No vull conservar res que cridi la memòria del vent arravatat i dels noms del silenci. Vinc d’un llarg temps de pluges damunt la mar quieta dels anys, i res no em tempta per girar els ulls enrera.
Tu que em coneixes, saps que sóc aquell que estima la vida per damunt de qualsevol riquesa, l’èxtasi i el turment, el foc i la pregunta. Cridat a viure, visc, i poso la mà plana damunt aquest ponent que el ponent magnifica.
Solemnement batega la sang en cada cosa.
Tot és camí des d’ara. Faig jurament de viure.
Ara que tots dos junts fem una sola columna de claror, penso la urgent necessitat de combatre els miratges, d’abandonar la platja de les hores on el sol cau a plom damunt l’arena i abalteix voluntats, i d’establir noves rutes, reblertes de presagis.
Aquest risc d’ara és temptador. No ens calen espectadors furtius ni gent que aprovi cada gest i en subratlli la destresa.
Llesquem el pa de cada instant. Benignes i agosarats, estimarem la vida que muda i que es perfà, noblement lenta i també noblement porfidiosa.
I anirem lluny, encadenats al pur atzar dels horitzons que mai no tanquen amb pany i clau l’estímul del paisatge.
L’hoste insòlit. 1978.
L’hôte insolite
Je ne dilapiderai pas le silence. Mon corps j’en connais les parages et les raccourcis et j’en aime les éclats et les défaillances ; je ne l’habite pas par plaisir mais il me suffit.
Je ne dilapiderai ni le silence ni l’espace lourd de mon corps et des projets démesurés qui me peuplent et m’exaltent. De mes doigts gourds de palper les mémoires j’adhère à toutes sortes de projets de joie et d’espérance. Profonde et claire, la voix qui me répète proclame la vie.
Je ne dis pas ce que nous avons perdu. Tu sais cela aussi bien que moi, ces vermisseaux insistants et résolus, te le répètent si tu prends la peine de tendre l’oreille.
Mais je te dirai ce que nous avons gagné : un arpent de monde, concret, localisable, et un prisme de couleurs pour le contempler.
Ferme les yeux et tu le verras comme je le vois.
Je ne dirai pas ce qu’il y a sous chaque mot. Il a déjà plu et ce qui reste de l’après-midi sera plus intime et plus clair.
Fuyons toute verbosité. Disons seulement l’essentiel : les mots grandir et aimer, et le nom le plus utile et le plus simple de chaque chose.
Délimite mon espace, mais n’attends pas que je renonce à ce que j’aime.
Regarde le vent prendre la forme des bégonias, regarde-le nettoyer vitres et rideaux aiguiser les angles vifs du crépuscule.
J’ai une pierre dans les mains. Chaque nuit elle tombe dans le puits profond du sommeil au matin, je la retire, trempée de vie.
Je ne garde rien qui appelle la mémoire du vent exaspéré et des noms du silence. Je viens d’une longue saison de pluies sur la mer calme des années, rien ne me pousse à me retourner.
Tu me connais, ne suis-je pas celui qui aime la vie pleinement et par-dessus toute richesse, l’extase et le tourment, le feu et la question.
À l’appel de la vie, je vis, et pose ma main à plat sur ce ponant que le ponant magnifie.
Le sang coule solennellement en chaque chose.
Désormais tout est chemin. Je jure de vivre.
Tous deux ne faisons plus qu’une seule colonne de clarté, je pense à l’urgente nécessité de combattre les mirages, d’abandonner la plage des heures où le soleil de plomb tombe sur le sable annihile les volontés, d’établir de nouveaux chemins, jalonnés de présages.
À présent, ce risque est tentant. Nul besoin de spectateurs furtifs, de gens qui approuvent chaque geste et en souligne l’habileté. Nous coupons le pain à chaque instant.
Inoffensifs et téméraires, nous aimerons la vie qui se transforme et se parfait, noble et lente, noble et obstinée.
Nous irons très loin, enchaînés au pur hasard des horizons qui jamais ne ferment à clé la stimulation du paysage.
Joie de la parole. Orphée/ La Différence, 1993. Traduit du catalan par Patrick Gifreu.
Miquel Martí i Pol est un poète catalan. Il est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter. Il est mort le 11 novembre 2003 à Vic .
Il commence à travailler à l’âge de 14 ans dans une usine textile de sa ville. A 19 ans, il est atteint d’une tuberculose pulmonaire, ce qui le maintient alité. Il lit beaucoup. Sa poésie des années 50 est simple. Elle exprime le sentiment amoureux.
Dans les années 1960, il commence à être connu pour ses poèmes engagés et réalistes. Il milite alors au PSUC clandestin (Partit Socialista Unificat de Catalunya). Atteint de sclérose multiple, il est obligé de cesser de travailler en 1973. Sa poésie devient plus intérieure et intimiste. Elle exprime aussi sa lutte contre la maladie. Il devient un des poètes catalans les plus lus et les plus populaires. Ses poèmes sont chantés par des interprètes tels que Lluís Llach, María del Mar Bonet, Teresa Rebull, Arianna Savall.
Ses œuvres complètes sont publiées en quatre volumes de 1989 à 2004.
La collection Orphée/ La Différence était indispensable. Elle ne publiait que des publications en édition bilingue. (Merci à Marie-Laure)
Le prix Nobel de littérature 2021 a été attribué le jeudi 7 octobre au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 dans l’île de Zanzibar. Il est un peu connu en France pour son roman Paradise (1994. Denoël, 1997). Il est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur de dix romans, dont Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il vit à Brighton et a enseigné à l’université du Kent jusqu’à sa récente retraite la littérature anglaise et postcoloniale. Comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur qui ne figurait pas dans les listes qui circulent habituellement avant l’attribution du prix.
Dans le Club de La Cause Littéraire, Léon-Marc Lévy et Marien Defalvard ont cité le poète espagnol Antonio Gamoneda (né en 1931 et Prix Cervantès 2006) que j’aime depuis longtemps. J’ai donc relu ses poèmes.
Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.
Después de veinte años
Cuando yo tenía catorce años
me hacían trabajar hasta muy tarde.
Cuando llegaba a casa, me cogía
la cabeza mi madre entre sus manos.
Yo era un muchacho que amaba el sol y la tierra
y los gritos de mis camaradas en el soto
y las hogueras en la noche
y todas las cosas que dan salud y amistad
y hacen crecer el corazón.
A las cinco del día, en el invierno,
mi madre iba hasta el borde de mi cama
y me llamaba por mi nombre
y acariciaba mi rostro hasta despertarme.
Yo salía a la calle y aún no amanecía
y mis ojos parecían endurecerse con el frío.
Esto no es justo, aunque era hermoso
ir por las calles y escuchar mis pasos
y sentir la noche de los que dormían
y comprenderlos como a un solo ser,
como si descansaran de la misma existencia,
todos en el mismo sueño.
Entraba en el trabajo. La oficina olía mal y daba pena. Luego, llegaban las mujeres. Se ponían a fregar en silencio.
Veinte años. He sido escarnecido y olvidado. Ya no comprendo la noche ni el canto de los muchachos sobre las praderas. Y, sin embargo, sé que algo más grande y más real que yo hay en mí, va en mis huesos:
Tierra incansable, firma la paz que sabes. Danos nuestra existencia a nosotros mismos.
Blues castellano (1961-1966), Colección AEDA, Gijón, Noega, 1982.