Ana Merino (Madrid, 1971) vient de publier son deuxième roman, Amigo. Le premier, El mapa de los afectos, avait obtenu le Prix Nadal en 2020.
Il y a deux ans, Ana Merino, professeure à l’Université de Iowa, est invitée à consulter les archives de Joaquín Amigo, conservées par sa petite fille María à Madrid. Cet écrivain participa avec son ami Federico García Lorca et Manuel de Falla aux réunions de El Rinconcillo, un cercle littéraire qui se réunissait au Café Alameda de Grenade au début des années 20. Il fut aussi un des animateurs avec Federico de la revue littéraire, gallo, qui publia deux numéros en février et en avril 1928. Il assista aussi avec d’autres amis à la lecture que fit Federico García Lorca de sa pièce, Yerma, à la Huerta de San Vicente, la maison de campagne de la famille du poète, à l’été 1934. Celui-ci lui dédia le poème Dosmarinos en la orilla de Canciones 1921-1924.
Joaquín Amigo Aguado (Grenade 1899 – Ronda, 1936) avait suivi les cours de José Ortega y Gasset. Catholique pratiquant et d’idéologie conservatrice, il était professeur de philosophie au lycée Giner de los Ríos de Ronda. Au cours de la Guerre Civile, des miliciens des comités révolutionnaires de la ville pour se venger de la répression nationaliste l’arrêtèrent le 24 août et le jetèrent du Puente Nuevo (98 mètres au-dessus des gorges du Guadalevín) le 27 août 1936, neuf jours après l’assassinat de son ami Federico García Lorca à Viznar. On n’a jamais retrouvé les corps des deux amis.
Ana Merino a pu étudier les archives de Joaquín Amigo à partir du 25 juin 2020. Elle a trouvé des lettres inédites de Federico García Lorca, des cartes postales de Federico et de Salvador Dalí, envoyées de Cadaqués. Elle a tiré de ses recherches un roman qui met en valeur l’amitié entre les deux hommes. Dans une des lettres retrouvées, García Lorca dit à Joaquín Amigo : «Saluda a los amigos, ya sean ingratos o sean amigos míos de verdad. Basta que sean de Granada para que yo los quiera. No hay nada en el mundo como Granada» Le roman fait revivre aussi le poète Luis Rosales (1910 – 1992). Federico García Lorca se réfugia dans la maison familiale de celui-ci, calle Angulo à Grenade, entre le 9 et le 16 août avant d’être arrêté et assassiné. Le poète et critique Felix Grande (1937 – 2014), de famille et de convictions républicaines, publia en 1987 La calumnia. De cómo a Luis Rosales, por defender a Federico García Lorca, lo persiguieron hasta la muerte (Mondadori). Il défendait Luis Rosales, poète et phalangiste comme ses frères, accusé à tort par certains exilés républicains d’avoir livré son ami aux bourreaux.
Dos marinos en la orilla
A Joaquín Amigo
I
Se trajo en el corazón un pez del Mar de la China.
A veces se ve cruzar diminuto por sus ojos.
Olvida siendo marino los bares y las naranjas.
Mira al agua.
II
Tenía la lengua de jabón. Lavó sus palabras y se calló.
Mundo plano, mar rizado, cien estrellas y su barco.
Vio los balcones del Papa y los pechos dorados de las cubanas.
Mira al agua.
Canciones 1921-1924.
Deux marins au bord de l’eau.
I
Il rapportait en son cœur un poisson des Mers de Chine.
Parfois on le voit passer minuscule dans ses yeux.
Il oublie la Marine et les bars et les oranges.
Il regarde l’eau.
II
D’une langue de savon il lava ses mots et se tut.
Monde uni, mer frisée cent étoiles, son navire.
Il a vu les balcons du Pape et les seins dorés des Cubaines.
Il regarde l’eau.
Poésies, tome II. Collection Poésie/Gallimard n° 2. 1966. Traduction : André Belamich et Pierre Darmangeat.
1) Chronologie Federico García Lorca (Oeuvres complètes I, Bibliothèque de La Pléiade, NRF Gallimard, 1981. Édition établie par André Belamich.) Septembre-octobre 1935.
2) Chronologie Desnos Oeuvres. Édition établie par Marie-Claire Dumas. Quarto Gallimard. 1999.
En septembre 1932, Robert Desnos fait un premier séjour avec sa compagne, Youki (Lucie Badoud 1903-1966), en Espagne. Il y séjourne à nouveau du 20 octobre au 15 novembre 1935, toujours avec Youki. Federico García Lorca collabore à la revue Cheval vert pour la Poésie, fondée en octobre 1935 par Pablo Neruda, et se lie d’une vive amitié avec Robert Desnos par l’intermédiaire du poète chilien. Cette rencontre n’a été mentionnée jusqu’à présent que par Alejo Carpentier. Le 21 janvier 1937, à la Maison de la Culture (Salle Poissonnière, 8 rue du Faubourg Poissonnière, Paris), Pablo Neruda et César Vallejo rendent hommage à Federico García Lorca, assassiné le 18 août 1936 par les Franquistes. Jean Cassou et Robert Desnos prennent aussi la parole Robert Desnos présente le 18 juillet 1937 le gala qui clôt le Deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s’est tenu successivement à Valence, Barcelone, Madrid et Paris. Le 7 novembre 1937 reprenant le cri de lutte des républicains espagnols « No pasarán ! Pasaremos nosotros », Desnos écrit un chant en l’honneur des Républicains ainsi qu’une cantate pour la mort de García Lorca. « Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir ».
No pasarán (Robert Desnos)
Nuits, Jours et nuits sombres ! Feu, Sang et décombres ! Sang clair des libres Espagnols ! Oui pour l’Espagne et la liberté Un sang pur coule sur notre sol Pour l’humanité No ! No pasarán !
Feu, rougis la forge Ceux qui nous égorgent Par ce fer nous crèv’rons leur cœur Ceux qui ont mis le feu aux maisons Ceux qui ont tué nos frères, nos sœurs Jamais ne nous vaincront No ! No pasarán !
Qui traîne des chaînes ? Qui sème la haine ? Le fascisme et tous ses banquiers Ils ont de l’or, ils ont des canons Mais nous luttons pour le monde entier Nous les briserons No ! No pasarán !
Il nous faut des armes C’est un cri d’alarme Il faut des ball’s et des fusils Aux lueurs du feu, aux sons du tocsin Nous combattons avec nos outils Tous ces assassins ! No ! No pasarán !
Par toute la terre Viennent des volontaires Pour lutter à côté de nous ! Gloire aux amis qui nous ont rejoints Au sanglant et glorieux rendez-vous Ils tendent le poing No ! No pasarán !
Morts des barricades Morts nos camarades Le jour vient, vous serez vengés Le jour se lève au feu des combats Dans la mort des soudards insurgés Nous sonnons leur glas No ! No pasarán !
Que le jour se lève Sur ce mauvais rêve Pour les hommes de l’univers Pour les travaux de paix et d’amour Nous peinerons été comme hiver Ah ! Vienne ce jour Si pasaremos !
Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.
Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir (Robert Desnos)
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES Après le soir vient la nuit L’eau chante à la fontaine La lune se baigne au puits.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES L’amour la nuit l’air le vent Jours, nuits et c’est la vie La danse au tambour au mois d’août.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES Le linge est blanc sous nos doigts Viens donc avec les filles Aimer et chanter et danser.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES L’été l’hiver l’eau le vin Viens, viens voici la danse Les fruits et l’amour dans les bois.
FEMME Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir
CHOEUR DE FEMMES Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah
L’annonce aux hommes
CHOEUR Les champs sont gorgés de soleil Les fleuves sont secs La terre les a bus Les moissons dorment dans les greniers Qu’il fera bon rêver tout l’été En buvant le vin des outres
SOLO Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR L’usine ce soir au soleil Est comme un château Dormir loin du travail Sous le ciel car nous sommes très las Qu’il fera bon rêver tout l’été en buvant le vin des outres.
SOLO Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR La mer elle chante et ses flots Sont pleins de reflets D’éclairs des grands poissons Les courants porteront nos bateaux Parmi les vents plus chauds et calmes Au-dessus des fonds propices.
CHOEUR Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR Qui est-ce García Lorca ? Nous ne le connaissons pas Qui est-ce García Lorca ?
SOLO C’est vous-mêmes.
Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.
Hoy siento en el corazón un vago temblor de estrellas, pero mi senda se pierde en el alma de la niebla. La luz me troncha las alas y el dolor de mi tristeza va mojando los recuerdos en la fuente de la idea.
Todas las rosas son blancas, tan blancas como mi pena, y no son las rosas blancas, que ha nevado sobre ellas. Antes tuvieron el iris. También sobre el alma nieva. La nieve del alma tiene copos de besos y escenas que se hundieron en la sombra o en la luz del que las piensa.
La nieve cae de las rosas, pero la del alma queda, y la garra de los años hace un sudario con ellas.
¿Se deshelará la nieve cuando la muerte nos lleva? ¿O después habrá otra nieve y otras rosas más perfectas?
¿Será la paz con nosotros como Cristo nos enseña? ¿O nunca será posible la solución del problema?
¿Y si el amor nos engaña? ¿Quién la vida nos alienta si el crepúsculo nos hunde en la verdadera ciencia del Bien que quizá no exista, y del Mal que late cerca?
¿Si la esperanza se apaga y la Babel se comienza, qué antorcha iluminará los caminos en la Tierra?
¿Si el azul es un ensueño, qué será de la inocencia? ¿Qué será del corazón si el Amor no tiene flechas?
¿Si la muerte es la muerte, qué será de los poetas y de las cosas dormidas que ya nadie las recuerda? ¡Oh sol de las esperanzas! ¡Agua clara! ¡Luna nueva! ¡Corazones de los niños! ¡Almas rudas de las piedras! Hoy siento en el corazón un vago temblor de estrellas y todas las rosas son tan blancas como mi pena.
Libro de Poemas, 1921.
Chanson d’automne
Novembre 1918 Grenade
Aujourd’hui je sens dans mon coeur Un vague frisson d’étoiles, Mais mon sentier se perd Dans l’âme du brouillard. Le jour me tranche les ailes, La douleur et le regret Submergent mes souvenirs Dans la source de l’idée.
Toutes les roses sont blanches Aussi blanches que ma peine ; Ces roses n’étaient pas blanches Mais il a neigé sur elles Qui étaient couleur d’iris. Il neige aussi sur nos âmes. La neige de l’âme a ses Flocons de baisers, d’images Qui s’enfouirent dans l’ombre Ou le jour de la pensée.
La neige tombe des roses, Celle de l’âme demeure, Et la griffe des années La transforme en un linceul.
Fondra-t-elle, cette neige, Quand la mort viendra nous prendre ? Connaîtrons-nous d’autres neiges, D’autres roses plus parfaites ?
Sur nous la paix viendra-t-elle ? Comme Jésus nous l’enseigne ? Ou bien n’aurons-nous jamais La solution du problème ?
L’amour n’est-il qu’illusion ? Qui animera nos vies, Si la pénombre nous plonge Dans la véritable science Du Bien qui n’existe pas, Peut-être, et du Mal tout proche ?
Si l’espérance s’éteint,e s’éteint, Si Babel se recommence, Quelle torche éclairera Nos chemins sur cette terre ?
Si l’azur n’est qu’un mirage, Que deviendra l’innocence ? Que deviendra notre cœur Si l’Amour n’a pas de flèches ?
Si la mort est bien la mort, Que deviendront les poètes Et les choses endormies Dont personne ne se souvient ? Ô soleil des espérances ! Eau claire ! Lune nouvelle ! Fraîcheur des petits enfants ! Âme rude de la pierre ! Aujourd’hui je sens dans mon cœur Un vague frisson d’étoiles Et toutes les roses sont Aussi blanches que ma peine.
Livre de poèmes, Éditions Gallimard, 1954.
Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Gallimard. 1981. Traduction André Belamich.
Ce poème a été écrit en 1928 par Federico García Lorca et publié par la Revista de Occidente, fondée et dirigée en 1923 par le philosophe José Ortega y Gasset. La traduction française a beaucoup vieilli.
Romance de la pena negra
A José Navarro Pardo
Las piquetas de los gallos cavan buscando la aurora, cuando por el monte oscuro baja Soledad Montoya. Cobre amarillo, su carne, huele a caballo y a sombra. Yunques ahumados sus pechos, gimen canciones redondas. Soledad: ¿por quién preguntas sin compañía y a estas horas? Pregunte por quién pregunte dime: ¿a ti qué se te importa? Vengo a buscar lo que busco, mi alegría y mi persona. Soledad de mis pesares, caballo que se desboca, al fin encuentra la mar y se lo tragan las olas. No me recuerdes el mar que la pena negra, brota en las tierras de aceituna bajo el rumor de las hojas. ¡Soledad, qué pena tienes! ¡Qué pena tan lastimosa! Lloras zumo de limón agrio de espera y de boca ¡Qué pena tan grande! Corro mi casa como una loca, mis dos trenzas por el suelo, de la cocina a la alcoba. ¡Qué pena! Me estoy poniendo de azabache, carne y ropa. ¡Ay mis camisas de hilo! ¡Ay mis muslos de amapola! Soledad: lava tu cuerpo con agua de las alondras, y deja tu corazón en paz, Soledad Montoya.
*
Por abajo canta el río: volante de cielo y hojas. Con flores de calabaza, la nueva luz se corona. ¡Oh pena de los gitanos! Pena limpia y siempre sola. ¡Oh pena de cauce oculto y madrugada remota!
Romancero gitano (1924-1927)
Romance de la peine noire
A José Navarro Pardo
Les pics sonores des coqs font une brèche à l’aurore, quand de la colline sombre descend Soledad Montoya. Cuivre jaune, tout son corps fleure la cavale et l’ombre. Ses seins, enclumes noircies, gémissent des chansons rondes. Soledad, qui cherches-tu solitaire, au point du jour ? Que je cherche qui je cherche, dis-moi si cela t’importe ! Je cours après un seul but, mon bonheur et ma raison. Soledad de mes chagrins, la cavale qui s’emporte, finit par trouver la mer et les vagues la dévorent. Ne parle pas de la mer car la peine noire pousse dans la terre aux oliviers sous la rumeur de leurs branches. Soledad, quelle pitié ! Quelle peine désolante ! Tu as des pleurs de citron, aigres de lèvre et d’attente. Quelle peine ! Je traverse ma maison comme une folle mes cheveux traînant par terre, de la cuisine à l’alcôve. Une peine qui rend comme du jais ma chair et ma robe. Ah, mes cuisses de fil ! Ah, mes cuisses de pavot ! Dans la source aux alouettes, Soledad, lave ton corps, et puis laisse reposer ton coeur, Soledad Montoya.
*
Tout en bas chante un ruisseau, volant de ciel et de feuilles. Des fleurs de la calebasse se couronne le jour neuf. O la peine des gitans ! Peine pure et solitaire. Peine de rive secrète et de matinée lointaine.
Poésies II. Chansons. Poèmes du Cante Jondo. Romancero gitan. NRF. Poésie /Gallimard n°2. Traduction: André Belamich.
Era mi voz antigua ignorante de los densos jugos amargos. La adivino lamiendo mis pies bajo los frágiles helechos mojados.
¡Ay voz antigua de mi amor, ay voz de mi verdad, ay voz de mi abierto costado, cuando todas las rosas manaban de mi lengua y el césped no conocía la impasible dentadura del caballo!
Estás aquí bebiendo mi sangre, bebiendo mi humor de niño pasado, mientras mis ojos se quiebran en el viento con el aluminio y las voces de los borrachos.
Dejarme pasar la puerta donde Eva come hormigas y Adán fecunda peces deslumbrados. Dejarme pasar, hombrecillo de los cuernos, al bosque de los desperezos y los alegrísimos saltos.
Yo sé el uso más secreto que tiene un viejo alfiler oxidado y sé del horror de unos ojos despiertos sobre la superficie concreta del plato.
Pero no quiero mundo ni sueño, voz divina, quiero mi libertad, mi amor humano en el rincón más oscuro de la brisa que nadie quiera. ¡Mi amor humano!
Esos perros marinos se persiguen y el viento acecha troncos descuidados. ¡Oh voz antigua, quema con tu lengua esta voz de hojalata y de talco!
Quiero llorar porque me da la gana como lloran los niños del último banco, porque yo no soy un hombre, ni un poeta, ni una hoja, pero sí un pulso herido que ronda las cosas del otro lado.
Quiero llorar diciendo mi nombre, rosa, niño y abeto a la orilla de este lago, para decir mi verdad de hombre de sangre matando en mí la burla y la sugestión del vocablo.
No, no. Yo no pregunto, yo deseo, voz mía libertada que me lames las manos. En el laberinto de biombos es mi desnudo el que recibe la luna de castigo y el reloj encenizado.
Así hablaba yo. Así hablaba yo cuando Saturno detuvo los trenes y la bruma y el Sueño y la Muerte me estaban buscando. Me estaban buscando allí donde mugen las vacas que tienen patitas de paje y allí donde flota mi cuerpo entre los equilibrios contrarios.
Poeta en Nueva York. 1929-1930. 1940.
Philip Cummings (1906-1991), étudiant et jeune poète américain, et Federico García Lorca se rencontrent à Madrid en 1928, à la Residencia de Estudiantes. Le poète andalou arrive à New York le 25 juin 1929. Il y reste jusqu’en février 1930 , puis se rend à Cuba en mars. Il ne cesse d’écrire, mais traverse une grave crise intérieure. Il s’échappe quelque temps de New York et de ses cours d’anglais. Il vit du 17 au 26 août 1929 au bord du Lac Eden (Vermont) dans une cabane louée par la famille de son ami. Ils traduisent ensemble en anglais le recueil Canciones. La nature est magnifique, mais il pleut sans cesse. García Lorca est désespéré. Il pense à son enfance et réfléchit à sa douloureuse expérience récente. Le poète andalou aurait confié à son ami américain 53 feuilles manuscrites qu’il lui aurait demandé de détruire s’il ne les lui réclamait pas dix ans plus tard. Cummings lui aurait obéi en 1961.
Double poème du Lac Eden Nos brebis paissent, la brise souffle. Garcilaso
Ma voix ancienne
ignorait les sucs amers et denses.
Je la devine qui lèche mes pieds
sous les frêles fougères mouillées.
Ô voix ancienne de mon amour,
ô voix de ma vérité,
ô voix de mon flanc ouvert,
quand toutes les roses jaillissent de ma langue,
quand le gazon ne connaissait l’impassible denture du cheval!
Tu es ici à boire mon sang,
à boire mon humeur d’enfant ennuyeux,
tandis que mes yeux se brisent dans le vent
avec l’aluminium et les voix des ivrognes.
Laisse -moi passer la porte
où Eve mange des fourmis
et Adam féconde des poissons éblouis.
Laisse-moi passer, petit homme cornu,
dans le bois où l’on étire son corps
et où l’on saute gaîment.
Je sais l’usage le plus secret
d’une vieille épingle oxydée
et je sais l’horreur des yeux éveillés
sur la surface concrète de l’assiette.
Mais je veux ni monde ni songe, voix divine,
je veux ma liberté, mon amour humain,
dans le coin le plus sombre de la brise, que nul ne veuille.
Mon amour humain!
Ces chiens de la mer se poursuivent
et le vent guette des troncs négligés.
Ô voix ancienne, brûle de ta langue
cette voix de fer-blanc et de talc!
Je veux pleurer parce que j’en ai envie
comme pleurent les enfants du dernier banc,
parce que je ne suis homme, poète ni feuille,
mais pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté.
Je veux pleurer en disant mon nom,
rose, enfant et sapin au bord de ce lac,
pour dire ma vérité d’homme de sang
en tuant en moi la raillerie et la suggestion du mot.
Non, non, je n’interroge pas, je désire, ô ma voix libérée qui me lèche les mains. Dans le labyrinthe de paravents, c’est ma nudité qui reçoit la lune de châtiment et l’horloge couverte de cendres.
Ainsi parlais-je. Ainsi parlais-je quand Saturne arrêta les trains et que la brume et le Songe et la Mort me cherchaient. Ils me cherchaient là où mugissent les vaches qui ont de petites pattes de page et là où mon corps flotte entre équilibres contraires.
Poésie, III. Poésie/Gallimard, 1968. Traduction Pierre Darmangeat.
(Pour Manuel, mon fils, philosophe et apiculteur…)
Federico García Lorca est né à Fuente Vaqueros, près de Grenade, le 5 juin 1898. Son père, Federico García Rodríguez (1859-1945) est un riche et libéral propriétaire terrien de la très fertile Vega de Granada. Le futur poète passe les onze premières années de son enfance à la campagne dans une zone de longue tradition apicole. En 1906-1907, sa famille s’installe à Asquerosa, petit village tout proche, aujourd’hui appelé Valderrubio, et en 1909 à Grenade en ville (Acera del Darro, 46). Toute sa vie, il fait aussi des séjours dans la maison de campagne familiale, la Huerta de San Vicente. L’ambiance rurale est centrale dans toute son oeuvre.
El canto de la miel
Noviembre de 1918
(Granada)
La miel es la palabra de Cristo,
el oro derretido de su amor.
El más allá del néctar,
la momia de la luz del paraíso.
La colmena es una estrella casta,
pozo de ámbar que alimenta el ritmo
de las abejas. Seno de los campos
tembloroso de aromas y zumbidos.
La miel es la epopeya del amor,
la materialidad de lo infinito.
Alma y sangre doliente de las flores
condensada a través de otro espíritu.
(Así la miel del hombre es la poesía
que mana de su pecho dolorido,
de un panal con la cera del recuerdo
formado por la abeja de lo íntimo)
La miel es la bucólica lejana
del pastor, la dulzaina y el olivo,
hermana de la leche y las bellotas,
reinas supremas del dorado siglo.
La miel es como el sol de la mañana,
tiene toda la gracia del estío
y la frescura vieja del otoño.
Es la hoja marchita y es el trigo.
¡Oh divino licor de la humildad,
sereno como un verso primitivo!
La armonía hecha carne tú eres,
el resumen genial de lo lírico.
En ti duerme la melancolía,
el secreto del beso y del grito.
Dulcísima. Dulce. Este es tu adjetivo. Dulce como los vientres de las hembras. Dulce como los ojos de los niños. Dulce como las sombras de la noche. Dulce como una voz. O como un lirio.
Para el que lleva la pena y la lira,
eres sol que ilumina el camino.
Equivales a todas las bellezas,
al color, a la luz, a los sonidos.
¡Oh! Divino licor de la esperanza,
donde a la perfección del equilibrio
llegan alma y materia en unidad
como en la hostia cuerpo y luz de Cristo.
Y el alma superior es de las flores,
¡Oh licor que esas almas has unido!
El que te gusta no sabe que traga
un resumen dorado del lirismo.
Libro de poemas. 1921.
Le cantique au miel
Novembre 1918
(Grenade)
Le miel est la parole du Christ
L’or fondu de son amour,
L’au-delà du nectar,
La momie de la lumière du paradis.
La ruche est une chaste étoile,
Un puit d’ambre alimenté au rythme
Des abeilles. Le sein des campagnes,
Tremblant d’arômes et de bourdonnements.
Le miel est l’épopée de l’amour,
La matérialité de l’infini,
L’âme et le sang plaintif des fleurs
Condensés à travers un autre esprit.
(Et le miel de l’homme est la poésie
Qui coule de son cœur endolori,
Rayon dont la cire est le souvenir,
Façonnée par l’abeille la plus intime.)
Le miel est la bucolique lointaine
Du pasteur, la flûte et les oliviers,
Le frère du gland et du lait
Qui régnaient en l’âge d’or.
Comme le soleil du matin, le miel
A tout le charme de l’Été
Et la fraîcheur ancienne de l’Automne.
C’est la feuille morte et le blé.
Ô divine liqueur d’humilité
Aussi sereine qu’un vers primitif !
Tu es l’harmonie incarnée
Et la géniale essence du lyrisme.
En toi dort la mélancolie,
Le secret du baiser et du cri.
Ô douceur ! Le doux est ton attribut, Doux comme le ventre des femmes, Doux comme les yeux des enfants, Doux comme l’ombre de la nuit, Doux comme une voix. Ou comme un lys.
Soleil qui éclaires les pas
De celui qui porte la peine et la lyre,
Tu équivaux à toutes les beautés,
Á la couleur, à la lumière, à la musique.
Ô divine liqueur de l’espérance
Où l’âme et la matière se marient
Dans un équilibre parfait,
Comme en l’hostie le corps du Christ et sa lumière.
Tu es des fleurs l’achèvement suprême,
Ô liqueur, en qui leurs âmes s’unissent !
Qui te goûte ne sait qu’il absorbe
L’essence dorée du lyrisme.
Poésies I Livre de poèmes Mon village. NRF. Poésie/Gallimard n° 20. 1967. Traduction : André Belamich.
Le 18 août 1936, il y a 85 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.
Túmulo de Lorca(Sophia de Mello Breyner Andresen)
Em ti choramos os outros mortos todos
Os que foram fuzilados em vigílias sem data
Os que se perdem sem nome na sombra das cadeias
Tão ignorados que nem sequer podemos
Perguntar por eles imaginar seu rosto
Choramos sem consolação aqueles que sucumbem
Entre os cornos da raiva sob o peso da força
Não podemos aceitar. O teu sangue não seca
Não repousamos em paz na tua morte
A hora da tua morte continua próxima e veemente
E a terra onde abriram a tua sepultura
É semelhante à ferida que não fecha
O teu sangue não encontrou nem foz nem saída
De Norte a Sul de Leste a Oeste
Estamos vivendo afogados no teu sangue
A lisa cal de cada muro branco
Escreve que tu foste assassinado
Não podemos aceitar. O processo não cessa Pois nem tu foste poupado à patada da besta A noite não pode beber nossa tristeza E por mais que te escondam não ficas sepultado
Geografía, 1967.
Tumba de Lorca
En ti lloramos todos los demás muertos Los que fueron fusilados en vigilias sin fecha Los que se pierden sin nombre en la sombra de las prisiones Tan ignorados que ni siquiera podemos Preguntar por ellos imaginar sus rostros Lloramos sin consuelo aquellos que sucumben Entre los cuernos de rabia bajo el peso de la fuerza
No podemos aceptar. Tu sangre no se seca
No descansamos en paz en tu muerte
La hora de tu muerte continúa cercana y vehemente
Y la tierra donde abrieron tu sepultura
Semeja una herida que no cierra
Tu sangre no halló embocadura ni salida
De norte a sur de este a oeste
Estamos viviendo ahogados en tu sangre
La lisa cal de cada muro blanco
Escribe que tú fuiste asesinado
No podemos aceptarlo. El proceso no cesa Pues ni tú te libraste de la patada de la bestia La noche no puede beber nuestra tristeza Y por más que te escondan aún no estás sepultado
Lo digo para ver, Septiembre 2019. 2019. Editorial: Galaxia Gutemberg. Traducción de Ángel Campos Pámpano.
Sophia de Mello Breyner Andresen est née le 6 novembre 1919 à Porto dans une vieille famille aristocratique . Elle suit des études de philologie classique à la Faculté des Lettres de Lisbonne. Elle publie en 1944 un premier recueil, Poesía, publié à compte d’auteur. Elle entame alors une carrière littéraire, encouragée par Miguel Torga. Engagée politiquement à gauche, elle a joué un rôle de premier plan dans les combats qui ont permis l’instauration de la démocratie au Portugal. Elle est élue à l’Assemblée Constituante en 1975 pour la région de Porto sur une liste du Parti Socialiste Portugais C’est une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle. Elle a écrit aussi des essais, des nouvelles et des livres pour enfants. Elle a traduit de nombreux auteurs étrangers. Elle a reçu le prix Camões, le plus important prix de littérature de langue portugaise en 1999 pour l’ensemble de son œuvre, et le prix Reina Sofía de poésie iberoamericaine en 2003. Elle est morte à 84 ans le 2 juillet 2004 à Lisbonne. Elle est enterrée au Panteão Nacional de Lisbonne depuis 2014 (Église de Santa Engrácia).
Federico García Lorca séjourne à Columbia University (New York) du 25 juin 1929 au 4 mars 1930. En 1931, il présente ainsi Poeta en Nueva York qui ne paraît de manière posthume qu’en 1940 : “una interpretación personal, abstracción impersonal, sin lugar ni tiempo, de aquella ciudad mundo. Un símbolo patético: sufrimiento. Pero de revés, sin dramatismo”.
Panorama ciego de Nueva York
Si no son los pájaros
cubiertos de ceniza,
si no son los gemidos que golpean las ventanas de la boda,
serán las delicadas criaturas del aire
que manan la sangre nueva por la oscuridad inextinguible.
Pero no, no son pájaros,
porque los pájaros están a punto de ser bueyes.
Pueden ser rocas blancas con la ayuda de la luna,
y son siempre muchachos heridos
antes de que los jueces levanten la tela.
Todos comprenden el dolor que se relaciona con la muerte
pero el verdadero dolor no está presente en el espíritu.
No está en el aire ni en nuestra vida,
ni en estas terrazas llenas de humo.
El verdadero dolor que mantiene despiertas las cosas
es una pequeña quemadura infinita
en los ojos inocentes de los otros sistemas.
Un traje abandonado pesa tanto en los hombros,
que muchas veces el cielo los agrupa en ásperas manadas;
y las que mueren de parto saben en la última hora
que todo rumor será piedra y toda huella, latido.
Nosotros ignoramos que el pensamiento tiene arrabales
donde el filósofo es devorado por los chinos y las orugas
y algunos niños idiotas han encontrado por las cocinas
pequeñas golondrinas con muletas
que sabían pronunciar la palabra amor.
No, no son los pájaros.
No es un pájaro el que expresa la turbia fiebre de laguna,
ni el ansia de asesinato que nos oprime cada momento,
ni el metálico rumor de suicidio que nos anima cada madrugada;
es una cápsula de aire donde nos duele todo el mundo,
es un pequeño espacio vivo al loco unisón de la luz,
es una escala indefinible donde las nubes y rosas olvidan
el griterío chino que bulle por el desembarcadero de la sangre.
Yo muchas veces me he perdido
para buscar la quemadura que mantiene despiertas las cosas
y sólo he encontrado marineros echados sobre las barandillas
y pequeñas criaturas del cielo enterradas bajo la nieve.
Pero el verdadero dolor estaba en otras plazas
donde los peces cristalizados agonizaban dentro de los troncos,
plazas del cielo extraño para las antiguas estatuas ilesas
y para la tierna intimidad de los volcanes.
No hay dolor en la voz. Sólo existen los dientes,
pero dientes que callarán aislados por el raso negro.
No hay dolor en la voz. Aquí sólo existe la Tierra.
La Tierra con sus puertas de siempre
que llevan al rubor de los frutos.
Poeta en Nueva York, 1940.
Panorama aveugle de New York
Si ce ne sont les oiseaux
couverts de cendre,
si ce ne sont les gémissements qui frappent aux fenêtres de la noce,
ce seront les délicates créatures de l’air
qui feront jaillir le sang neuf dans l’obscurité inextinguible.
Mais non, ce ne sont pas les oiseaux,
parce que les oiseaux sont en passe d’être des bœufs.
Ce peuvent être des roches blanches avec l’aide de la lune,
et ce sont toujours des jeunes filles blessées
avant que les juges ne soulèvent le voile.
Tout le monde comprend la douleur qui est liée à la mort,
mais la vraie douleur n’est pas présente dans l’esprit.
Elle n’est pas dans l’air ni dans notre vie,
ni sur ces terrasses pleines de fumée.
La véritable douleur qui tient éveillées les choses
est une petite brûlure infinie
dans les yeux innocents des autres systèmes.
Un vêtement abandonné pèse tellement sur les épaules,
que bien souvent le ciel les regroupe en âpres troupeaux ;
et celles qui meurent en couches savent, à leur dernière heure,
que tout bruit sera pierre et toute trace, élancement.
Nous, nous ignorons que la pensée a des faubourgs
où le philosophe est dévoré par les Chinois et les chenilles
et certains enfants idiots ont trouvé dans les cuisines
de petites hirondelles avec des béquilles
qui savaient prononcer le mot amour.
Non, ce ne sont pas les oiseaux.
Ce n’est pas un oiseau qui exprime la trouble fièvre de la lagune
ni l’ardent désir de meurtre qui nous oppresse à chaque instant
ni la métallique rumeur de suicide qui nous anime chaque matin :
c’est une capsule d’air où nous fait mal le monde entier,
c’est un petit espace vivant à l’unisson fou avec la lumière,
c’est une échelle indéfinissable où nuages et roses oublient
les cris incohérents qui grouillent dans le débarcadère du sang.
Moi maintes fois je me suis perdu
en cherchant la brûlure qui tient éveillées les choses
et je n’ai guère trouvé que des marins échoués sur les parapets
et de petites créatures du ciel ensevelies sous la neige.
Mais la véritable douleur était sur d’autres places
où les poissons cristallisés agonisaient à l’intérieur des troncs,
des places de ciel étranger pour les antiques statues indemnes
et pour la tendre intimité des volcans.
Il n’y a pas de douleur dans la voix. Existent seulement les dents, mais des dents qui se tairont, isolées par le satin noir. Il n’y a pas de douleur dans la voix. Ici existe seulement la Terre. La Terre avec ses portes de toujours qui mènent à la rougeur des fruits.
Poésie, III 1926-1936. Poésie/Gallimard n°30, 1968. Traduction : Pierre Darmangeat.
Il y a 85 ans, le vendredi 17 juillet 1936 au Maroc, alors protectorat, et le samedi 18 juillet 1936 en Espagne, des généraux félons (Sanjurjo, Franco, Mola) se soulevaient contre la République. C’était le début de la Guerre civile en Espagne. Une occasion de relire Luis Cernuda évoquant Federico García Lorca.
A UN POETA MUERTO (F.G.L.)
Así como en la roca nunca vemos
La clara flor abrirse,
Entre un pueblo hosco y duro
No brilla hermosamente
El fresco y alto ornato de la vida.
Por esto te mataron, porque eras
Verdor en nuestra tierra árida
Y azul en nuestro oscuro aire.
Leve es la parte de la vida
Que como dioses rescatan los poetas.
El odio y destrucción perduran siempre
Sordamente en la entraña
Toda hiel sempiterna del español terrible,
Que acecha lo cimero
Con su piedra en la mano.
Triste sino nacer
Con algún don ilustre
Aquí, donde los hombres
En su miseria sólo saben
El insulto, la mofa, el recelo profundo
Ante aquel que ilumina las palabras opacas
Por el oculto fuego originario.
La sal de nuestro mundo eras,
Vivo estabas como un rayo de sol,
Y ya es tan sólo tu recuerdo
Quien yerra y pasa, acariciando
El muro de los cuerpos
Con el dejo de las adormideras
Que nuestros predecesores ingirieron
A orillas del olvido.
Si tu ángel acude a la memoria,
Sombras son estos hombres
Que aún palpitan tras las malezas de la tierra;
La muerte se diría
Más viva que la vida
Porque tú estás con ella,
Pasado el arco de tu vasto imperio,
Poblándola de pájaros y hojas
Con tu gracia y tu juventud incomparables.
Aquí la primavera luce ahora.
Mira los radiantes mancebos
Que vivo tanto amaste
Efímeros pasar junto al fulgor del mar.
Desnudos cuerpos bellos que se llevan
Tras de sí los deseos
Con su exquisita forma, y sólo encierran
Amargo zumo, que no alberga su espíritu
Un destello de amor ni de alto pensamiento.
Igual todo prosigue,
Como entonces, tan mágico,
Que parece imposible
La sombra en que has caído.
Mas un inmenso afán oculto advierte
Que su ignoto aguijón tan sólo puede
Aplacarse en nosotros con la muerte,
Como el afán del agua,
A quien no basta esculpirse en las olas,
Sino perderse anónima
En los limbos del mar.
Pero antes no sabías
La realidad más honda de este mundo:
El odio, el triste odio de los hombres,
Que en ti señalar quiso
Por el acero horrible su victoria,
Con tu angustia postrera
Bajo la luz tranquila de Granada,
Distante entre cipreses y laureles,
Y entre tus propias gentes
Y por las mismas manos
Que un día servilmente te halagaran.
Para el poeta la muerte es la victoria;
Un viento demoníaco le impulsa por la vida,
Y si una fuerza ciega
Sin comprensión de amor
Transforma por un crimen
A ti, cantor, en héroe,
Contempla en cambio, hermano,
Cómo entre la tristeza y el desdén
Un poder más magnánimo permite a tus amigos
En un rincón pudrirse libremente.
Tenga tu sombra paz,
Busque otros valles,
Un río donde del viento
Se lleve los sonidos entre juncos
Y lirios y el encanto
Tan viejo de las aguas elocuentes,
En donde el eco como la gloria humana ruede,
Como ella de remoto,
Ajeno como ella y tan estéril.
Halle tu gran afán enajenado
El puro amor de un dios adolescente
Entre el verdor de las rosas eternas;
Porque este ansia divina, perdida aquí en la tierra,
Tras de tanto dolor y dejamiento,
Con su propia grandeza nos advierte
De alguna mente creadora inmensa,
Que concibe al poeta cual lengua de su gloria
Y luego le consuela a través de la muerte.
Poème écrit à Valence du 19 au 23 avril 1937. Il a été publié une première fois sous le titre Elegía a un poeta muerto dans la revue Hora de España VI. Valencia, junio de 1937.
Las nubes, 1937-1940. Buenos Aires, 1943.
La sixième strophe a été censurée lors de la première publication sous l’influence de Wenceslao Roces, communiste et Subsecretario de instrucción Pública du gouvernement républicain.
A un poète mort (F.G.L.)
Comme on ne voit jamais sur le rocher
La claire fleur s’épanouir,
Ainsi ne brille en sa beauté
Parmi un peuple hargneux et dur
L’ornement frais et noble de la vie.
C’est pourquoi ils t’ont tué: tu étais
verdure de notre terre aride,
Azur de notre ciel obscur.
Légère est la part de la vie
Que tels des dieux rachètent les poètes.
La destruction, la haine habitent pour toujours
Sourdement les entrailles
Toute de fiel de l’Espagnol terrible
Qui épie le sublime
Une pierre à la main.
Triste destin celui de naître
Avec un don illustre
Ici, où les hommes
Dans leur misère ne gardent
Qu’insulte, moquerie et défiance profonde
Pour celui qui éclaire les paroles opaques
Du feu secret originel.
Tu étais sel de notre monde,
Vivant tu étais un rayon de soleil,
Et seul voici ton souvenir
Qui passe errant et qui caresse
Le mur des corps
De la saveur de ces pavots
Que nos prédécesseurs ont ingérés
Aux rives de l’oubli.
Si vient ton ange à ta mémoire,
Ce sont des ombres, ces hommes
Qui palpitent encore dans les broussailles de la terre;
On dirait que la mort
Est plus vivante que la vie,
Parce que tu es chez elle,
Passé le porche de son vaste empire,
Et tu la peuples d’oiseaux et de feuilles
Avec ta grâce et ta jeunesse incomparables.
Ici le printemps brille en ce moment.
Vois les radieux garçons
Que vivant tu as tant aimés,
Éphémères passer dans la lueur marine.
Belles nudités qui traînent
Après elles les désirs
Avec leur forme exquise, et ne renferment
Qu’un suc amer, car leur esprit n’habite
Ni lumière d’amour ni hauteur de pensée.
Tout continue de même
Et, comme alors, magique,
Si bien que paraît impossible
L’ombre où tu es tombé.
Mais une immense aspiration secrète nous prévient
Que son aiguillon ignoré ne se peut
Émousser en nous qu’avec la mort,
Comme l’aspiration de l’eau
Á qui ne suffit pas de se sculpter en vagues,
Mais anonyme se veut perdre
Aux limbes de la mer.
Mais avant tu ne connaissais pas
La plus profonde réalité de ce monde:
La haine, la triste haine des humains,
Qui en toi voulut marquer
Par l’horreur de l’acier sa victoire,
Avec ton angoisse ultime
Sous la calme lumière de Grenade,
Lointain parmi cyprès et lauriers,
Parmi les tiens,
Et par les mêmes mains
Qui serviles un jour t’avaient flatté
La mort pour le poète est la victoire;
Un vent démoniaque le pousse dans la vie,
Et si une force aveugle
Sans compréhension ni amour
Par un crime te change,
Toi chanteur, en héros,
Considère en revanche, frère,
Comme dans la tristesse et le dédain
Un pouvoir plus magnanime permet à tes amis
de pourrir dans un coin librement.
Paix à ton ombre,
Qu’elle cherche d’autres vallées,
Une rivière où le vent
Pour une musique parmi les joncs
Et les iris avec le charme
Si vieillot de cette eau éloquente,
Où l’écho telle la gloire humaine roule,
Comme elle en un lointain
Étranger tout comme elle et stérile.
Trouve ton grand désir dépossédé
Le pur amour d’un dieu adolescent
dans la verdeur des roses éternelles;
Car ce désir divin, perdu sur notre terre
Après tant de douleur et d’abandon,
Nous révèle en sa propre grandeur
Je ne sais quel esprit immense et créateur
Qui du poète a fait la langue de sa gloire
Et par-delà la mort ensuite le console.