Federico García Lorca

Huerta de San Vicente. Vega de Granada.

Diván del Tamarit est le recueil du retour de Federico García Lorca à Grenade. Lors d’un dîner avec des amis au cours de l’été 1934, il annonce au célèbre arabisant Emilio García Gómez (1905-1995, auteur de Poemas arabigosandaluces, 1930), présent ce jour-là qu’il a composé une collection de casidas et de gacelas, c’est à dire un Divan en l’honneur des vieux poètes musulmans de Grenade (comme par exemple Ibn Zamrak, 1333-1393, dont les vers décorent les vasques et les murs de l’Alhambra). Il veut l’appeler Tamarit du nom d’une maison de campagne de sa famille où plusieurs d’entre elles furent écrites. En réalité, c’est un oncle du poète, Francisco García, qui avait une propriété nommée la Huerta del Tamarit, près du Genil. Le Tamarit désignait dans la langue des conquérants venus d’Afrique du Nord le quartier où se trouvait également la Huerta de San Vicente, appartenant à la famille de García Lorca. Le vieil ami du poète, Antonio Gallego Burín (1895-1961), doyen de la faculté de Lettres de Grenade promet de le faire publier par l’université. Emilio García Gómez rédigera une préface. Les fortes tensions politiques en Espagne à partir de 1934 ne permettront pas cette publication. Emilio García Gómez et Antonio Gallego Burín appartiennent à l’extrême-droite.
Amour, érotisme et mort se retrouvent au centre de ces poèmes (12 gacelas, 9 casidas).

“Llámase casida en árabe a todo poema de cierta longitud, con determinada arquitectura interna (…) y en versos monorrimos, medidos con arreglo a normas escrupulosamente estereotipada. La gacela —empleada principalmente en la lírica persa— es un corto poema, de asunto con preferencia erótico, ajustado a determinadas técnicas y cuyos versos son más de cuatro y menos de quince. Diván es la colección de las composiciones de un poeta, generalmente catalogadas por orden alfabético de rimas.” (Emilio García Gómez, Nota al Diván del Tamarit.)

(d’après Federico García Lorca, Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade NRF. 1981)

Gacela del amor imprevisto

Nadie comprendía el perfume
de la oscura magnolia de tu vientre.
Nadie sabía que martirizabas
un colibrí de amor entre los dientes.

Mil caballitos persas se dormían
en la plaza con luna de tu frente,
mientras que yo enlazaba cuatro noches
tu cintura, enemiga de la nieve.

Entre yeso y jazmines, tu mirada
era un pálido ramo de simientes.
Yo busqué, para darle, por mi pecho
las letras de marfil que dicen siempre.

siempre, siempre: jardín de mi agonía,
tu cuerpo fugitivo para siempre,
la sangre de tus venas en mi boca,
tu boca ya sin luz para mi muerte.

Diván del Tamarit. Numéros 3-4 de la Revista Hispánica Moderna, Columbia University, juillet-octobre 1940.

Gacela de l’amour imprévu

Nul ne comprenait le parfum
du magnolia sombre de ton ventre.
Nul ne savait que tu martyrisais
un colibri d’amour entre tes dents.

Mille petits chevaux perses s’endormaient
sur la place baignée de lune de ton front,
tandis que moi, quatre nuits, j’enlaçais
ta taille, ennemie de la neige.

Entre plâtre et jasmins, ton regard
était un bouquet pâle de semences.
Dans mon coeur je cherchais pour te donner
les lettres d’ivoire qui disent toujours,

toujours, toujours : jardin de mon agonie,
ton corps fugitif pour toujours
le sang de tes veines dans ma bouche,
ta bouche sans lumière déjà pour ma mort.

Divan du Tamarit, Gallimard 1961. Traduction : Claude Couffon et Bernard Sesé.

Lecture par Laurent Stocker de la Comédie Française.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/federico-garcia-lorca-divan-du-tamarit-3478658

Casida de los ramos

Por las arboledas del Tamarit
han venido los perros de plomo
a esperar que se caigan los ramos,
a esperar que se quiebren ellos solos.

El Tamarit tiene un manzano
con una manzana de sollozos.
Un ruiseñor apaga los suspiros
y un faisán los ahuyenta por el polvo.

Pero los ramos son alegres,
los ramos son como nosotros.
No piensan en la lluvia y se han dormido,
como si fueran árboles, de pronto.

Sentados con el agua en las rodillas
dos valles esperaban al otoño.
La penumbra con paso de elefante
empujaba las ramas y los troncos.

Por las arboledas de Tamarit
hay muchos niños de velado rostro
a esperar que se caigan mis ramos,
a esperar que se quiebren ellos solos.

Diván del Tamarit. Numéros 3-4 de la Revista Hispánica Moderna, Columbia University, juillet-octobre 1940.

Casida des branches

Sous les arbres du Tamarit
sont arrivés les chiens de plomb,
attendant que tombent les branches,
attendant que seules se brisent.

Le Tamarit a un pommier
et une pomme de sanglots.
Un rossignol tait les soupirs
qu’un faisan chasse par la poussière.

Mais les branches ont leur gaieté,
les branches sont comme nous sommes.
Oublient la pluie, et puis s’endorment
telles des arbres, rapidement.

L’eau étalée sur leurs genoux
deux vallées attendaient l’automne.
La pénombre au pas d’éléphant
poussait les branches et les troncs.

Sous les arbres du Tamarit
il est beaucoup d’enfants voilés,
attendant que tombent mes branches,
attendant que seules se brisent.

Divan du Tamarit, Gallimard 1961. Traduction: Claude Couffon et Bernard Sesé.

Federico García Lorca – Antonio Machado

Georges Soria-Federico García Lorca (Chim – David Seymour). Madrid, Plaza Mayor. Printemps-été 1936.

Le poète fut arrêté dans sa ville de Grenade le 16 août 1936. Il s’était réfugié dans la maison de la famille Rosales Camacho, calle Angulo número 1 . Il s’y croyait à l’abri puisque les fils de cette famille étaient des membres influents de la Phalange, l’organisation fasciste de José Antonio Primo de Rivera. Federico était très ami avec le poète Luis Rosales (1910-1992, Prix Cervantès 1982), le plus jeune des frères. Dans la nuit du 17 au 18 août 1936, probablement vers deux heures du matin, il fut transféré en voiture jusqu’au village de Viznar, à neuf kilomètres de là. Peu de temps après, il fut assassiné près du village voisin d’Alfacar avec trois autres personnes : l’instituteur de Pulianas Dióscoro Galindo González et deux banderilleros célèbres de de Grenade: Francisco Galadí Melgar (“el Colores”) et Joaquín Arcollas Cabezas (“Magarza”), membres du syndicat anarchiste CNT. L’historien anglais Paul Preston estime qu’il y eut 5000 exécutions à Grenade pendant la Guerre civile.

La publication dans un hors-série du « Figaro » (28 juillet 2022) d’un entretien de huit pages de la journaliste Isabelle Schmitz avec l’essayiste d’extrême droite Pío Moa, pour qui les gauches sont entièrement responsables du déclenchement de la guerre civile en Espagne en 1936, a suscité l’indignation de nombreux historiens. Comment peut-on publier en France un livre de ce pseudo-historien engagé dans sa jeunesse dans les GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre), groupuscule terroriste d’inspiration maoïste et condamné par la justice espagnole en 1983 ? Les Éditions L’Artilleur ont pourtant traduit et édité son livre révisionniste Les Mythes de la guerre civile 1936-1939, sorti en Espagne en 2003.

Antonio Machado écrivit ce poème au mois d’octobre 1936. Il en donna une lecture publique, à Valence, sur la Place Castelar.

El crimen fue en Granada (Antonio Machado)

A Federico García Lorca

I

El crimen

Se le vio, caminando entre fusiles,
por una calle larga,
salir al campo frío,
aún con estrellas, de la madrugada.
Mataron a Federico
cuando la luz asomaba.
El pelotón de verdugos
no osó mirarle la cara.
Todos cerraron los ojos;
rezaron: ¡ni Dios te salva!
Muerto cayó Federico
– sangre en la frente y plomo en las entrañas –
…Que fue en Granada el crimen
sabed – ¡pobre Granada! -, en su Granada.

II

El poeta y la muerte

Se le vio caminar solo con Ella,
sin miedo a su guadaña.
– Ya el sol en torre y torre, los martillos
en yunque – yunque y yunque de las fraguas.
Hablaba Federico,
requebrando a la muerte. Ella escuchaba.
“Porque ayer en mi verso, compañera,
sonaba el golpe de tus secas palmas,
y diste el hielo a mi cantar, y el filo
a mi tragedia de tu hoz de plata,
te cantaré la carne que no tienes,
los ojos que te faltan,
tus cabellos que el viento sacudía,
los rojos labios donde te besaban…
Hoy como ayer, gitana, muerte mía,
qué bien contigo a solas,
por estos aires de Granada, ¡mi Granada!”

III

Se le vio caminar…
Labrad, amigos,
de piedra y sueño, en el Alhambra,
un túmulo al poeta,
sobre una fuente donde llore el agua,
y eternamente diga:
el crimen fue en Granada, ¡en su Granada!

Le crime a eu lieu à Grenade

A Federico García Lorca

I

Le crime

On le vit, avançant au milieu des fusils,
Par une longue rue,
Sortir dans la campagne froide,
Sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
N’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux ;
Ils prient : Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
– Du sang au front, du plomb dans les entrailles –
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
– Pauvre Grenade! – , sa Grenade…

II

Le poète et la mort

On le vit s’avancer seul avec Elle,
Sans craindre sa faux.
– Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux
Sur l’enclume – sur l’enclume des forges.
Federico parlait ;
Il courtisait la mort. Elle écoutait
« Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers
Les coups de tes mains desséchées,
Qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace
Et à ma tragédie le fil de ta faucille d’argent,
Je chanterai la chair que tu n’as pas,
Les yeux qui te manquent,
Les cheveux que le vent agitait,
Les lèvres rouges que l’on baisait…
Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort,
Que je suis bien, seul avec toi,
Dans l’air de Grenade, ma Grenade !»

III

On le vit s’avancer…
Élevez, mes amis,
Dans l’Alhambra, de pierre et de songe,
Un tombeau au poète,
Sur une fontaine où l’eau gémira
Et dira éternellement :
Le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !

Poésie de guerre, 1936-1939. Traduction : Bernard Sesé.

Baeza (Jaén), calle san Pablo. Statue d’ Antonio Machado (Antonio Pérez Almahan) (2009).

El Cortijo del Fraile – Federico García Lorca

El Cortijo del Fraile. Parc Naturel de Cabo de Gata (Almería), (Martin A. Doe.)

Il y avait hier dans le journal El País un article sur le Parc naturel de Cabo de Gata-Níjar : Por los cortijos de Cabo de Gata en busca de rincones. C’est un endroit fragile et assez fascinant où je suis allé deux fois, en 1999 et 2005.

https://elviajero.elpais.com/elviajero/2022/07/15/actualidad/1657874975_508225.html

El Cortijo del Fraile a été construit par les Dominicains au XVIII ème siècle. Il est passé dans les mains de l’état en 1836 (Loi de désamortissement du ministre Juan Álvarez Mendizábal), puis a été vendu à des intérêts privés. Les ruines du bâtiment et ses 730 hectares sont aujourd’hui la propriété de l’entreprise de Murcia, Agrícola La Misión, S. L. La ferme est située au sud-est de Níjar (Almería). Les touristes curieux ne trouvent pas le lieu facilement. Les communes les plus proches proches sont Los Albaricoques y Rodalquilar, célèbre pour ses anciennes mines d’or.

El Cortijo del Fraile est connu pour plusieurs raisons. La première pour le crime (Crimen de Níjar) qui eut lieu le 22 juillet 1928. Francisca Cañada Morales (1907 ou 1908-1987) en fut la protagoniste. Paca la Coja (c’était son surnom) avait 20 ans et allait se marier avec Casimiro Pérez Pino. Francisca et son cousin, Francisco Montes Cañada, dix ans plus âgé (Leonardo dans l’oeuvre de García Lorca alors que tous les autres personnages ne portent pas de nom) s’enfuirent sur une mule avant la cérémonie de mariage. Le frère de Casimiro, José, pour venger l’honneur de la famille, les surprit et tua Francisco de trois coups de fusil à quelques kilomètres du Cortijo del Fraile. Paca la Coja que l’on avait essayé d’étrangler vécut célibataire toute sa vie dans les environs. Ce fait divers fut beaucoup commenté par la presse de l’époque. Il inspira le roman Puñal de Claveles (1931) de Carmen de Burgos (1867-1932) et surtout la pièce de théâtre de Federico García Lorca, Bodas de sangre (Noces de sang, écrite en 1931, représentée à Madrid au Théâtre Beatriz le 8 mars 1933 par la Compagnie de Josefina Díaz et Manuel Collado).

La ferme et ses environs apparaissent aussi dans les westerns spaghetti de Sergio Leone Pour quelques dollars de plus (1965) Le bon, la brute et le truand (1966) Il était une fois la révolution (1971) (1966) ou de Damiano Damiani, El Chuncho (1966)

Bien que le site soit un Bien de Interés Cultural, les murs s’écroulent, le clocher de l’église penche dangereusement et la végétation envahit les bâtiments.

Photo prise en 1999. (CF)

” La Novia

¡Porque yo me fui con el otro, me fui! (Con angustia). Tú también te hubieras ido. Yo era una mujer quemada, llena de llagas por dentro y por fuera, y tu hijo era un poquito de agua de la que yo esperaba hijos, tierra, salud. Pero el otro era un río oscuro, lleno de ramas, que acercaba a mí el rumor de sus juncos y su cantar entre dientes. Y yo corría con tu hijo que era como un niñito de agua fría y el otro me mandaba cientos de pájaros que me impedían el andar y que dejaban escarcha sobre mis heridas de pobre mujer marchita, de muchacha acariciada por el fuego. Yo no quería, ¡óyelo bien! ; Yo no quería. ¡Tu hijo era mi fin y yo no lo he engañado, pero el brazo del otro me arrastró como un golpe de mar, como la cabezada de un mulo, y me hubiera arrastrado siempre, siempre, siempre, aunque hubiera sido vieja y todos los hijos de tu hijo me hubiesen agarrado de los cabellos!”

” La Fiancée
Je suis partie avec l’autre. Je suis partie (avec angoisse) Toi aussi tu l’aurais suivie ! J’étais brûlée, couverte de plaies en dedans et en dehors. Ton fils était l’eau fraîche dont j’attendais des enfants, la santé. Mais l’autre était un fleuve obscur sous la ramée. Il apportait vers moi la rumeur de ses joncs, sa chanson murmurante. Je courais avec ton fils qui, lui, était tout froid comme un petit enfant de l’eau. Et l’autre par centaine m’envoyait des oiseaux qui m’empêchaient de marcher et qui laissaient du givre sur mes blessures de pauvre femme flétrie, de jeune fille caressée par le feu. Je ne voulais pas, entends moi bien , je ne voulais pas. Ton fils était mon salut et je ne l’ai pas trompé, mais le bras de l’autre m’a entraînée comme un paquet de mer, comme vous pousse le coup de tête d’un mulet. Et même si j’avais été une vieille femme avec tous les enfants nés de ton fils accrochés à mes cheveux, il m’aurait emportée.” (Traduction Marcelle Auclair)

Federico García Lorca

La vocation poétique de Federico García Lorca est assez tardive. Elle ne commence vraiment que lorsqu’il abandonne l’étude régulière de la composition musicale à la mort de son professeur de musique Antonio Segura en mai 1916. Néanmoins, il jouera de la guitare et du piano avec grand talent toute sa vie. Il ne faut pas oublier que Manuel de Falla dira de lui qu’il aurait pu être encore plus grand musicien que poète. Il commence par des textes en prose (Impressions et paysages – Impresiones y paisajes, recueil publié à compte d’auteur à Grenade au début d’avril 1918). En 1916-1917, il a participé avec un groupe d’étudiants à quatre excursions universitaires sous la direction du professeur de littérature et d’art de l’université de Grenade, Martín Domínguez Berrueta. Il découvre la Castille et rencontre Antonio Machado à Baeza et Miguel de Unamuno à Salamanque. Son Livre de poèmes est publié à Madrid le 15 juin 1921 grâce à l’aide de son ami, l’éditeur Gabriel Maroto. Ses soixante-huit pièces ont été écrites de 1918 à 1920. On y reconnaît l’influence du romantisme et du symbolisme. Il est encore loin des courants d’avant-garde européens. Le livre est dédicacé à son frère Francisco (Paquito ou Paco, 1902-1976) de quatre ans son cadet qui sera diplomate, puis professeur d’université aux États-Unis.

Granada. Première statue du poète dans sa ville de Grenade (Antonio Corredor). 2010. Avenida de la Constitución.

Lluvia
Enero de 1919
Granada

La lluvia tiene un vago secreto de ternura,
algo de soñolencia resignada y amable,
una música humilde se despierta con ella
que hace vibrar el alma dormida del paisaje.

Es un besar azul que recibe la Tierra,
el mito primitivo que vuelve a realizarse.
El contacto ya frío de cielo y tierra viejos
con una mansedumbre de atardecer constante.

Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores
y nos unge de espíritu santo de los mares.
La que derrama vida sobre las sementeras
y en el alma tristeza de lo que no se sabe.

La nostalgia terrible de una vida perdida,
el fatal sentimiento de haber nacido tarde,
o la ilusión inquieta de un mañana imposible
con la inquietud cercana del color de la carne.

El amor se despierta en el gris de su ritmo,
nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre,
pero nuestro optimismo se convierte en tristeza
al contemplar las gotas muertas en los cristales.

Y son las gotas: ojos de infinito que miran
al infinito blanco que les sirvió de madre.

Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio
y le dejan divinas heridas de diamante.
Son poetas del agua que han visto y que meditan
lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.

¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos,
lluvia mansa y serena de esquila y luz suave,
lluvia buena y pacifica que eres la verdadera,
la que llorosa y triste sobre las cosas caes!

¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas
almas de fuentes claras y humildes manantiales!
Cuando sobre los campos desciendes lentamente
las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.

El canto primitivo que dices al silencio
y la historia sonora que cuentas al ramaje
los comenta llorando mi corazón desierto
en un negro y profundo pentágrama sin clave.

Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena,
tristeza resignada de cosa irrealizable,
tengo en el horizonte un lucero encendido
y el corazón me impide que corra a contemplarte.

¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman
y eres sobre el piano dulzura emocionante;
das al alma las mismas nieblas y resonancias
que pones en el alma dormida del paisaje!

Libro de poemas, 1921.

Pluie

La pluie a comme un vague secret de tendresse,
Plein de résignation, de somnolence aimable.
Discrète, une musique avec elle s’éveille
Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.

C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit,
Le mythe primitif accompli de nouveau,
Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids
Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.

C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs,
La purification du Saint-Esprit des mers.
C’est elle qui répand la vie sur les semailles
Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.

La nostalgie terrible d’une vie perdue,
Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard,
L’espérance inquiète d’un futur impossible,
Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.

Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes.
Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe;
Mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent
Á contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.

Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient
Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.

Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre
Y fait, divine, une blessure de diamant,
Poétesse de l’eau qui a vu et médite
Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves

Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse,
Douceur sereine de sonnaille et de lumière,
Pacifique bonté, la seule véritable,
Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,

Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte
Une âme claire de fontaine et d’humble source,
Quand lentement sur la campagne tu descends,
Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent.

Le psaume primitif que tu dis au silence,
Le conte mélodieux que tu dis aux ramées,
Mon cœur dans son désert le répète en pleurant
Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.

J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine,
Tristesse résignée de l’irréalisable.
Je vois à l’horizon une étoile allumée
mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.

Tu mets sur le piano une douceur troublante,
Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres.
Tu donnes à mon cœur les vagues résonances
Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.

Livre de poèmes. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1981. Traduction André Belamich.

Première édition de Libro de Poemas. 1921

Après Pablo Neruda et Federico García Lorca, un troisième poème sur le thème de la pluie en cette période de canicule et de sécheresse, celui de Jorge Luis Borges. https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/12/09/jorge-luis-borges-11/

El concurso de cante jondo de 1922

Affiche du premier Concurso de Cante Jondo, canto primitivo andaluz, Grenade, 1922 ( Manuel Ángeles Ortiz y Hermenegildo Lanz ).

En 1922, Manuel de Falla, qui vit à Grenade depuis deux ans, met sur pied, avec certains de ses amis , un événement musical exceptionnel. Il s’agit de sauver le chant primitif andalou (el cante jondo) qui était en train de disparaître en même temps que les vieux cantaores. Il était aussi menacé par la dérive commerciale de certaines tavernes.

Le 13 et le 14 juin 1922 a lieu sur la Place de los Aljibes de l’Alhambra un concours, ouvert seulement aux amateurs. Les prix s’élèvent à 8.500 pesetas. Selon l’idée un peu naïve de Falla, il va permettre de sauver cette musique pure et primitive.

Parmi les participants se trouvent Ignacio Zuloaga, Miguel Cerón Rubio, Manuel Ángeles Ortiz, Ramón Gómez de la Serna, Santiago Rusiñol et Federico García Lorca. Ce dernier lit sa conférence Importancia histórica y artística del primitivo canto andaluz, llamado cante jondo qu’il avait déjà présenté une première fois au Centre Artistique de Grenade le 19 février 1922. Il publiera en 1931 son recueil Poema del cante jondo dont les poèmes ont été rédigés en 1921. Tous ont dans l’idée de protéger cette musique populaire et pensent que le cante jondo peut être source de création innovante.

Pastora Pavón “La Niña de los Peines”, Antonio Chacón, Ramón Montoya, La Gazpacha, Manolo Caracol (Manuel Ortega Juárez), Manuel Torre sont présents. C’est Diego Bermúdez Cala “El Tenazas de Morón” qui remporte la plus haute récompense.

“Ce furent de grandes journées au cours desquelles non seulement des intellectuels de tout le pays, mais aussi des personnalités de grande influence dans la culture européenne se sont réunis dans la ville pour exalter et ennoblir la richesse de l’art flamenco et lui donner la visibilité et la valeur nécessaires pour promouvoir sa conservation et mettre une si belle manifestation culturelle au même niveau que les autres arts reconnus comme tels”.

L’historien Maurice Legendre (1878-1955), un des initiateurs de l’hispanisme, ami de Miguel de Unamuno et proche de Manuel Falla, declare dans la revue catholique Le Correspondant du 10 juillet 1922 : “Ahora podemos decir que el canto hondo de España está salvado. El gramófono ha grabado lo que nuestra notación musical no puede captar”.

Banquet du 16 juin 1922 dans les locaux de la Asociación de Periodistas de Granada.

Federico García Lorca

Federico García Lorca. Huerta de San Vicente.

Le premier recueil de poèmes de Federico García Lorca (Libro de Poemas) a été publié à Madrid en 1921, il y a un peu plus de cent ans. Il comprend 67 poèmes, écrits alors qu’il sortait de l’adolescence. Le poète andalou évoque un paradis perdu, la crise de l’âge adulte, le désenchantement. Il dialogue avec le paysage de son enfance (La Vega de Granada) et exprime une tension évidente. Les éléments naturels (animaux, plantes, rivières, fontaines) ont une forte charge symbolique. On y trouve aussi l’influence du folklore populaire, des chansons enfantines, de la religiosité populaire. Les poètes modernistes (Juan Ramón Jiménez, Antonio Machado) l’ont marqué, mais certaines images annoncent déjà une poésie d’avant-garde.

La sombra de mi alma

Diciembre de 1919

(Madrid)

La sombra de mi alma
huye por un ocaso de alfabetos,
niebla de libros
y palabras.

¡La sombra de mi alma!

He llegado a la línea donde cesa
la nostalgia,
y la gota de llanto se transforma
alabastro de espíritu.

(¡La sombra de mi alma!)

El copo del dolor
se acaba,
pero queda la razón y la sustancia
de mi viejo mediodía de labios,
de mi viejo mediodía
de miradas.

Un turbio laberinto
de estrellas ahumadas
enreda mi ilusión
casi marchita.

¡La sombra de mi alma!

Y una alucinación
me ordeña las miradas.
Veo la palabra amor
desmoronada.

¡Ruiseñor mío!
¡Ruiseñor!
¿Aún cantas?

Libro de poemas. 1921.

L’ombre de mon âme

Décembre 1919

(Madrid)

L’ombre de mon âme
s’enfuit dans un couchant d’alphabets,
Brouillard de livres
Et de paroles.

L’ombre de mon âme!

J’ai atteint la ligne où cesse
La nostalgie,
Où se fige la goutte des larmes,
Albâtre de l’esprit.
(L’ombre de mon âme!)

Le flocon de la peine
S’efface,
Mais en moi demeure, substance et motif,
Un ancien midi de lèvres,
Un ancien midi
De regards.

Un trouble labyrinthe
D’étoiles obscurcies
S’enlace à mes regrets
Presque fanés.

L’ombre de mon âme!

Une hallucination
Aspire mes regards.
Je vois le mot amour
Qui se délabre.

Rossignol!
Mon rossignol!
Chantes-tu toujours?

Poésies I. (Livre de poèmes. Mon village). Traduction : André Belamich, Claude Couffon.

Federico García Lorca

Juan Remírez de Lucas à 18 ans. Dessin de Gregorio Prieto (1897-1992)

Juan Ramírez de Lucas (Albacete, 1917-Madrid, 2010) aurait été à l’origine des Sonnets de l’amour obscur. Celui que Federico surnommait “El rubio de Albacete” avait alors 19 ans. Il était étudiant et apprenti-acteur dans le Club théâtral Anfistora. Il fut plus tard critique d’art et d’architecture pour les revues Arquitectura de Madrid et Arte y Cemento de Bilbao et le journal ABC.

Juan Remírez de Lucas.

La famille du poète n’a autorisé la publication en espagnol de ces onze sonnets que le 17 mars 1984 dans le journal conservateur ABC. En 1981, André Belamich avait publié en deux tomes les oeuvres complètes de Federico García Lorca dans la Bibliothèque de La Pléiade. Dans cette édition française figuraient les Sonnets de l’amour obscur.

Noche del amor insomne

Noche arriba los dos con luna llena,
yo me puse a llorar y tú reías.
Tu desdén era un dios, las quejas mías
momentos y palomas en cadena.

Noche abajo los dos. Cristal de pena,
llorabas tú por hondas lejanías.
Mi dolor era un grupo de agonías
sobre tu débil corazón de arena.

La aurora nos unió sobre la cama,
las bocas puestas sobre el chorro helado
de una sangre sin fin que se derrama.

Y el sol entró por el balcón cerrado
y el coral de la vida abrió su rama
sobre mi corazón amortajado.

Sonetos del amor oscuro. Écrits entre 1935 et 1936. Recueil inachevé et inédit jusqu’en 1984.

Nuit de l’amour insomnieux

Nous remontions tous deux la nuit de pleine lune.
Je me mis à pleurer, et toi à rire.
Ton dédain me semblait un dieu, et mes soupirs
des colombes et des moments en chaîne.

Nous descendions tous deux la nuit. Cristal de peine,
toi, tu pleurais des lointains infinis
et ma douleur groupait des agonies
parmi le sable de ton cœur trop faible.

L’aurore nous unit sur le lit, toute blanche,
bouche appuyée contre le jet glacé
d’un sang interminable qui s’épanche.

Et le soleil entra par les volets fermés,
et le corail de vie ouvrit ses branches
sur le linceul de mon coeur consumé.

Poésies IV. Suites. Sonnets de l’amour obscur. Collection Poésie/Gallimard n°185, 1984. Traduction Albert Belamich.

Sant Jordi – Día del libro – Federico García Lorca

Barcelona. Casa Batlló (Antoni Gaudí). 1904-1906.

23 avril : sant Jordi. Día del Libro.

Discurso de Federico García Lorca en la inauguración de la biblioteca de su pueblo, Fuentevaqueros (septiembre de 1931).

” Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. «Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre», piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.

Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.

No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.

Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?

¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: «amor, amor», y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: «¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!». Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida.

Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: «Cultura». Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz.”

Merci à Rosa Mari Gabriel. Tarragona.

Discours de Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de Fuente Vaqueros, sa ville natale. (Septembre 1931)

« Quand quelqu’un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu’elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s’en désole : « Comme cela plairait à ma soeur, à mon père ! » pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu’avec une légère mélancolie. C’est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu’est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.

C’est pour cela que je n’ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l’offre. j’en ai donné une infinité. Et c’est pour cela que c’est un honneur pour moi d’être ici, heureux d’inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.

L’homme ne vit pas que de pain. Moi si j’avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j’attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu’ils profitent de tous les fruits de l’esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l’état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.

J’ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu’un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d’apprendre et n’en a pas les moyens souffre d’une terrible agonie parce que c’est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?

Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: « Amour, amour », et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski, père de la révolution russe bien davantage que Lénine, était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! ». Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d’eau, il demandait des livres, c’est-à-dire des horizons, c’est-à-dire des marches pour gravir la cime de l’esprit et du coeur. Parce que l’agonie physique, biologique, naturelle d’un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie.

Le grand Menéndez Pidal, l’un des véritables plus grands sages d’Europe, , l’a déjà dit : « La devise de la République doit être la culture ». La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière. »

Federico García Lorca

Fuentevaqueros (Granada). Museo-Casa natal de Federico García Lorca. (El Niño de las Pinturas – Raúl Ruiz)

Lluvia

Enero de 1919
(Granada)

La lluvia tiene un vago secreto de ternura,
algo de soñolencia resignada y amable,
una música humilde se despierta con ella
que hace vibrar el alma dormida del paisaje.

Es un besar azul que recibe la Tierra,
el mito primitivo que vuelve a realizarse.
El contacto ya frío de cielo y tierra viejos
con una mansedumbre de atardecer constante.

Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores
y nos unge de espíritu santo de los mares.
La que derrama vida sobre las sementeras
y en el alma tristeza de lo que no se sabe.

La nostalgia terrible de una vida perdida,
el fatal sentimiento de haber nacido tarde,
o la ilusión inquieta de un mañana imposible
con la inquietud cercana del color de la carne.

El amor se despierta en el gris de su ritmo,
nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre,
pero nuestro optimismo se convierte en tristeza
al contemplar las gotas muertas en los cristales.

Y son las gotas: ojos de infinito que miran
al infinito blanco que les sirvió de madre.

Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio
y le dejan divinas heridas de diamante.
Son poetas del agua que han visto y que meditan
lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.

¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos,
lluvia mansa y serena de esquila y luz suave,
lluvia buena y pacífica que eres la verdadera,
la que amorosa y triste sobre las cosas caes!

¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas
almas de fuentes claras y humildes manantiales!
Cuando sobre los campos desciendes lentamente
las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.

El canto primitivo que dices al silencio
y la historia sonora que cuentas al ramaje
los comenta llorando mi corazón desierto
en un negro y profundo pentágrama sin clave.

Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena,
tristeza resignada de cosa irrealizable,
tengo en el horizonte un lucero encendido
y el corazón me impide que corra a contemplarte.

¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman
y eres sobre el piano dulzura emocionante;
das al alma las mismas nieblas y resonancias
que pones en el alma dormida del paisaje!

Libro de poemas, 1921.

Fuentevaqueros (Granada). Museo – Casa natal de Federico García Lorca. Busto del poeta.

Pluie

Janvier 1919
(Grenade)

La pluie a comme un vague secret de tendresse,
Plein de résignation, de somnolence aimable.
Discrète, une musique avec elle s’éveille
Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.

C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit,
Le mythe primitif accompli de nouveau,
Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids
Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.

C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs,
La purification du Saint-Esprit des mers.
C’est elle qui répand la vie sur les semailles
Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.

La nostalgie terrible d’une vie perdue,
Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard,
L’espérance inquiète d’un futur impossible,
Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.

Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes.
Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe;
mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent
A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.

Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient
Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.

Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre
Y fait, divine, une blessure de diamant,
Poétesses de l’eau qui a vu et médite
Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves

Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse,
Douceur sereine de sonnaille et de lumière,
Pacifique bonté, la seule véritable,
Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,

Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte
Une âme claire de fontaine et d’humble source,
Quand lentement sur la campagne tu descends,
Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent.
Le psaume primitif que tu dis au silence,
Le conte mélodieux que tu dis aux ramées,
Mon cœur dans son désert le répète en pleurant
Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.

J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine,
Tristesse résignée de l’irréalisable
Je vois à l’horizon une étoile allumée
Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.

Tu mets sur le piano une douceur troublante,
Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres.
Tu donnes à mon cœur les vagues résonances
Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.

Livre de poèmes. Gallimard, 1954.
Traduction André Belamich.

Federico García Lorca

Federico García Lorca entrevistado por el periodista de La Voz, Felipe Morales. 7 de abril de 1936.

«La poésie, c’est quelque chose qui marche par les rues. Qui se meut, qui passe à côté de nous. Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie, c’est le mystère de toutes les choses. On passe près d’un homme, on regarde une femme, on remarque l’allure oblique d’un chien, et c’est en chacun de ces objets humains que réside la poésie. »

« Le jour où, sur Terre, la famine sera enrayée, il se produira la plus grande explosion spirituelle que le monde ait jamais connue. L’humanité ne peut imaginer la joie qui éclatera dans le monde le jour de cette grande révolution. »

Entrevista de Felipe Morales a Federico García Lorca. La Voz de Madrid, 7 de Abril de 1936.

Qué es la poesía y el teatro

En la calle, la lluvia, y el cristal, en la ventana. Mañana de abril. Sol y barro. Federico García Lorca se asoma a un paisaje de chimeneas muertas y de nubes paralizadas. Es un cuarto piso de la calle de Alcalá, donde no llegan los gritos de vendedores ni la emoción de las aventuras.

Federico, ¿qué es la poesía?
(La habitación es pequeña. En un rincón se muere sin remedio una maceta de flores rojas.)
La poesía es algo que anda por las calles. Que se mueve, que pasa a nuestro lado. Todas las cosas tienen su misterio, y la poesía es el misterio que tienen todas las cosas. Se pasa junto a un hombre, se mira a una mujer, se adivina la marcha oblicua de un perro, y en cada uno de estos objetos humanos está la poesía.

“La poesía es algo que anda por las calles…”
(El poeta se ha metido más dentro de sí mismo. Sus ojos, vistos por mí en el espejo de la pared de enfrente, miran sin mirada.)
Por eso yo no concibo la poesía como abstracción, sino como cosa real existente, que ha pasado junto a mí. Todas las personas de mis poemas han sido. Lo principal es dar con la llave de la poesía. Cuando más tranquilo se está, entonces, ¡zas!, se abre la llave, y el poema acude con su forma brillante. No se puede hablar de si el hombre es un objeto más sugeridor que la mujer. Con ello respondo a tu pregunta. No, no se puede hablar.

Naturalmente que en la poesía vive un problema sexual, si el poema es de amor, o un problema cósmico, si el poema busca la batalla con los abismos. La poesía no tiene límites. Nos puede esperar sentada en el quicio de la puerta en las madrugadas frías, cuando se vuelve con los pies cansados y el cuello del abrigo subido. Puede estar esperándonos en el agua de una fuente, subida en la flor de un olivo, puesta a secar en la tela blanca de una azotea. Lo que no puede hacerse es proponerse una poesía con la rigurosidad matemática del que va a comprar litro y medio de aceite.

Casa de Federico García Lorca. Madrid, Calle de Alcalá n°96. Séptimo piso.

El teatro fue siempre mi vocación. He dado al teatro muchas horas de mi vida. Tengo un concepto del teatro en cierta forma personal y resistente. El teatro es la poesía que se levanta del libro y se necesita que los personajes que aparezcan en la escena lleven un traje de poesía y al mismo tiempo que se les vean los huesos, la sangre. Han de ser tan humanos, tan horrorosamente trágicos y ligados  a la vida y al día con una fuerza tal, que muestren sus traiciones, que se aprecien sus olores y que salga a los labios toda la valentía de sus palabras llenas de amor o de ascos. Lo que no puede continuar es la supervivencia de los personajes dramáticos que hoy suben a los escenarios llevados de la mano de sus autores. Son personajes huecos, vacíos totalmente, a los que sólo es posible ver a través del chaleco un reloj parado, un hueso falso o una caca de gato de esas que hay en los desvanes.

Hoy en España, la generalidad de los autores y de los actores ocupan una zona apenas intermedia. Se escribe en el teatro para el piso principal y se quedan sin satisfacer la parte de butacas y los pisos del paraíso. Escribir para el piso principal es lo más triste del mundo. El público que va a ver cosas queda defraudado. Y el público virgen, el público ingenuo, que es el pueblo, no comprende cómo se le habla de problemas despreciados por él en los patios de la vecindad. En parte tienen la culpa los actores.

No es que sean malas personas, pero… “Oiga, Fulanito -aquí un nombre de autor- , quiero que me haga usted una comedia en la que yo… haga de yo. Sí, sí; yo quiero hacer esto y lo otro. Quiero estrenar un traje de primavera. Me gusta tener veintitrés años. No lo olvide.” Y así no se puede hacer teatro. Así lo que se hace es perpetuar una dama joven a través de los tiempos y un galán a despecho de la arteriosclerosis.

¿Y tu teatro?
Yo en el teatro he seguido una trayectoria definida. Mis primeras comedias son irrepresentables. Ahora creo que una de ellas, Así que pasen cinco años, va a ser representada por el Club Anfistora. En estas comedias imposibles está mi verdadero propósito. Pero para demostrar una personalidad y tener derecho al respeto he dado otras cosas. Escribo cuando me place. No soy de los autores al uso que siguen la teoría de una obrita todos los años.

Mi última comedia, Doña Rosita o el lenguaje de las flores, la concebí en el año mil novecientos veinticuatro. Mi amigo Moreno Villa me dijo: “Había una vez una rosa…” Y cuando acabó el cuento maravilloso de la rosa, yo tenía hecha mi comedia. Se me apareció terminada, única, imposible de reformar. Y sin embargo, no la he escrito hasta mil novecientos treinta y seis. Han sido los años los que han bordado las escenas y han puesto versos a la historia de la flor.

Ahora estoy trabajando en una nueva comedia. Ya no será como las anteriores. Ahora es una obra en la que no puedo escribir nada, ni una línea, porque se han desatado y andan por los aires la verdad y la mentira, el hambre y la poesía. Se me ha escapado de las páginas. La verdad de la comedia es un problema religioso y económico-social. El mundo está detenido ante el hambre que asola a los pueblos.

Mientras haya desequilibrio económico, el mundo no piensa. Yo lo tengo visto. Van dos hombes por la orilla de un río. Uno es rico, otro es pobre. Uno lleva la barriga llena, y el otro pone sucio al aire con sus bostezos. Y el rico dice: “¡Oh, qué barca más linda se ve por el agua! Mire, mire usted, el lirio que florece en la orilla.” Y el pobre reza: “Tengo hambre, no veo nada. Tengo hambre, mucha hambre.” Natural. El día que el hambre desaparezca, va a producirse en el mundo la explosión espiritual más grande que jamás conoció la Humanidad. Nunca jamás se podrán figurar los hombres la alegría que estallará el día de la Gran revolución. ¿Verdad que te estoy hablando en socialista puro?

Y ahora, a Méjico.
Espero un cable de Margarita Xirgu. Será en este mes. Pienso marchar directamente a Nueva York, donde ya estuve viviendo un año. En Nueva York quiero saludar a antiguos amigos, que son yanquis amigos de España. Nueva York es terrible. Algo monstruoso. A mí me gusta andar por las calles, perdido; pero reconozco que Nueva York es la gran mentira del mundo. Los ingleses han llevado allí una civilización sin raíces. Han levantado casas y casas; pero no han ahondado en la tierrra. Se vive para arriba, para arriba… Pero así como en la América de abajo nosotros dejamos a Cervantes, los ingleses en la América de arriba no han dejado su Shakespeare.

(Hay una pausa)
Desde Nueva York voy directamente a Méjico. Cinco días de tren. ¡Que felicidad! En el tren veo cambiar las cosas, sucederse los paisajes y las vacas tristes. Pero nadie me habla. Tú te habrás fijado que en el tren no cabe el diálogo. Te preguntan algo y tú dices: “¡Hum!”, con la cabeza, y ya está. Lo contrario que en el barco, donde siempre te encuentras acodadas en la borda a todas las personas que te son antipáticas.

En Méjico presenciaré mis estrenos y daré una conferencia sobre Quevedo. ¡Ah! ¡Qué gran injusticia se ha cometido con Quevedo! Es el poeta más interesante de España. Mi amistad con Quevedo data de pocos años. Fue un acercamiento melancólico. En un viaje por la Mancha, me detuve en el pueblo de Infantes. La plaza del pueblo, desierta. La Torre de Juan Abad. Y muy cerca, la iglesia oscura, con carátula de los Austrias. En la iglesia sin luz se oían los aullidos de una niña del pueblo que cantaba a los dioses. Entré sobrecogido. Y allí estaba Quevedo, solo, enterrado, perpetuando la injusticia de su muerte. Me parecía que acababa de asistir a su entierro. Sí; yo le había acompañado en una comitiva de golillas y golfainas. Hablaré en Méjico de Quevedo, porque Quevedo es España.